Histoire des Montagnards | Page 3

Alphonse Esquiros
amertume.
--Il n'y avait rien de commun, ajouta-t-elle, entre lui et Marat. Si mon fr��re e?t v��cu, les t��tes de Danton et de Camille Desmoulins ne seraient pas tomb��es.
Je lui demandai si son fr��re avait ��t�� vraiment m��decin de la maison du comte d'Artois.
--Oui, r��pondit-elle, c'est la v��rit��. Sa charge consistait �� soigner les gardes du corps et les gens pr��pos��s au service des ��curies. Aussi fut-il poursuivi plus tard par une foule de marquises et de comtesses qui venaient le trouver chez lui, le flattaient et l'engageaient �� d��serter la cause du peuple. Le bruit courut m��me par la ville qu'il s'��tait vendu pour un chateau....
--Monsieur, ajouta-t-elle en me d��signant d'un geste son mis��rabl�� r��duit,--je suis sa soeur et son unique h��riti��re: regardez, voici mon chateau!
Et il y avait de l'orgueil dans sa voix.
L'humeur soup?onneuse de certains r��volutionnaires ne s'��tait point endormie chez elle avec les ann��es. Plusieurs fois je la surpris �� fixer sur mon humble personne des regards m��fiants et inquisiteurs. Elle m'avoua m��me ��prouver le besoin de prendre des renseignements sur mon civisme aupr��s d'un ami dans lequel elle avait confiance. Je la vis aussi s'emporter �� chaque fois que je lui fis quelques objections: c'��tait bien le sang de Marat.
Mes questions sur les habitudes de son fr��re, sur sa mani��re de vivre, n'obtinrent gu��re plus de succ��s. Les d��tails de la vie intime rentraient d'apr��s elle dans les conditions de l'homme, ��tre calamiteux et passager que la mort efface sous un peu de terre. L'histoire ne devait point descendre jusqu'�� ces futilit��s.
Elle me parla incidemment de Charlotte Corday, comme d'une aventuri��re et d'une fille de mauvaise vie.
Ce qui me frappa fut son opinion sur l'assassinat politique. Louis-Philippe venait d'��chapper �� l'un des nombreux attentats qui signal��rent son r��gne; on pense bien qu'elle d��testait en lui l'homme et le roi.
--N'importe! s'��cria-t-elle; c'est toujours un mauvais moyen de se d��faire des tyrans.
Je me levai pour sortir.
--Monsieur, me dit-elle, revenez dans quinze jours, je vous communiquerai des renseignements biographiques sur mon fr��re, si je vis encore; car dans l'��tat de maladie o�� vous me voyez je m'��teindrai subitement. Un jour, demain peut-��tre, en ouvrant la porte, on me trouvera morte dans mon lit; mais je ne m'en afflige aucunement. La mort n'est un mal que pour ceux qui ont la conscience troubl��e. Moi, qui suis sur le bord de la fosse et qui vous parle, je sais qu'on quitte la vie sans regrets quand on n'a rien �� se reprocher. Mon fr��re est mort pauvre et victime de son d��vouement �� la patrie; c'est l�� toute sa gloire.
Je redescendis l'escalier avec un poids sur le coeur.
--Voil�� des gens, me disais-je, qui voulaient le bien de l'humanit��, qui poursuivirent ce r��ve jusqu'�� la mort avec un d��sint��ressement h��ro?que, et qui ne sont gu��re arriv��s qu'�� une renomm��e sanglante, �� une dictature ��ph��m��re. On en est m��me �� se demander s'ils n'ont point compromis la grande cause qu'ils croyaient servir. Ce n'est point assez que de vouloir le bien: il faut l'atteindre par des voies que ne d��savouent ni la raison ni la justice.
Marat se d��finissait lui-m��me le bouc ��missaire qui se charge en passant de tous les maux de l'humanit��. Il y avait dix si��cles d'oppression, de mis��res, de tortures entass��s sur cet enfant du peuple, laid et mal venu, qui, �� bout de patience, se retourne contre ses anciens ma?tres, furieux, ��cumant. Ce petit homme sur les pieds duquel toute une soci��t�� a march��; ce m��decin qui porte dans son corps malade la paleur et la fi��vre des h?pitaux; ce journaliste inquiet, ombrageux, m��fiant, lach�� sur la place publique comme un dogue vigilant dans une ville ouverte et peu s?re, pour y faire le guet; cet oeil du peuple qui va r?dant ?a et l�� pour d��couvrir les tra?tres; cet homme-anath��me, qui assume sur sa t��te maudite tout l'odieux des mesures de sang, constitue bien un caract��re �� part, une des maladies de la R��volution.
Il a ��t�� trop l��g��rement trait�� de charlatan et d'aventurier par les ��crivains royalistes. Avant d'entrer dans la carri��re politique, Marat ��tait un savant. Voltaire lui fit l'honneur de critiquer un de ses premiers livres [Note: De l'Homme ou des principes et des lois de l'influence de l'ame sur le corps et du corps sur l'ame, 1775] o�� il pla?ait le si��ge de l'ame dans les m��ninges. [Note: Nom collectif des trois membranes qui enveloppent le cerveau.] On voit du moins que l'auteur ��tait spiritualiste. Il publia ensuite diff��rents travaux sur le feu, l'��lectricit��, la lumi��re, l'optique.
Isidore Geoffroy Saint-Hilaire me racontait que vers 1830 (si ma m��moire est fid��le) l'administration du Jardin des Plantes fit l'emplette d'une boite contenant des instruments de physique: par un hasard singulier, une partie de ces instruments avait servi �� Marat pour faire ses exp��riences; l'autre avait appartenu au comte
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