Histoire des Montagnards | Page 2

Alphonse Esquiros
t��moignages, je m'acheminai vers la demeure de celle qui portait un nom si terrible, mais qui, dit-on, avait refus�� autrefois de se marier pour ne point perdre ce nom dont elle se faisait gloire.
C'��tait un jour de pluie.
Rue de la Barillerie n�� 32 (c'est l'adresse que m'avait indiqu��e le statuaire David), je rencontrai une all��e ��troite et sombre, gard��e par une petite porte basse. Sur le mur, je lus ces mots ��crits en lettres noires: ?Le portier est au deuxi��me.? Je montai.
Au deuxi��me ��tage, je demandai mademoiselle Marat. Le portier et sa femme s'entre-regard��rent en silence.
--C'est ici?
--Oui, monsieur, reprirent-ils apr��s s'��tre consult��s du coin de l'oeil.
--Elle est chez elle?
--Toujours: cette malheureuse est paralys��e des jambes.
--A quel ��tage?
--Au _cinti��me_, la porte �� droite.
La femme du portier, qui jusque-l�� m'avait observ�� sans rien dire, ajouta d'une voix goguenarde:
--Ce n'est pas une jeune et jolie fille, oui-d��!
Je continuai �� monter l'escalier qui devenait de plus en plus raide et gras. Les murs sans badigeon ��talaient dans le clair-obscur la sale nudit�� du platre. Arriv�� tout en haut devant une porte mal close, je frappai. Apr��s quelques instants d'attente, durant lesquels je donnai un dernier coup d'oeil au d��labrement des lieux, la porte s'ouvrit. Je demeurai frapp�� de stupeur. L'��tre que j'avais devant moi et qui me regardait fixement, c'��tait Marat.
On m'avait pr��venu de cette ressemblance extraordinaire entre le fr��re et la soeur; mais qui pouvait croire �� une telle vision de la tombe pr��sente en chair et en os? Son v��tement douteux--une sorte de robe de chambre--pr��tait encore �� l'illusion. Elle ��tait coiff��e d'une serviette blanche qui laissait passer tr��s-peu de cheveux. Cette serviette me fit souvenir que Marat avait la t��te ainsi couverte quand il fut tu�� dans son bain par Charlotte Corday.
Je fis la question d'usage:
--Mademoiselle Marat?
Elle arr��ta sur moi deux yeux noirs et per?ants:
--C'est ici: entrez.
Je la suivis et passai par un cabinet tr��s-sombre o�� l'on distinguait confus��ment une mani��re de lit. Ce cabinet donnait dans une chambre unique, situ��e sous les toits, assez propre, mais triste et mis��rable. Il y avait pour tous meubles trois chaises, une table, une cage o�� chantaient deux serins et une armoire ouverte qui contenait quelques livres, entre autres une collection compl��te des num��ros de l'Ami du peuple, dont on lui avait offert un bon prix, mais qu'elle avait toujours refus�� de vendre. L'un des carreaux de la fen��tre ayant ��t�� bris��, on l'avait remplac�� par une feuille de papier huileuse sur laquelle pleuraient des gouttes de pluie et qui r��pandait dans la chambre une lumi��re livide.
Voyant toute cette mis��re, j'admirai au fond du coeur le d��sint��ressement de ces hommes de 93 qui avaient tenu dans leurs mains toutes les fortunes avec toutes les t��tes, et qui ��taient morts laissant �� leur femme, �� leur soeur, cinq francs en assignats.
La soeur de Marat se pla?a dans une chaise �� bras et m'invita �� m'asseoir �� c?t�� d'elle. Je lui dis mon nom et l'objet de ma visite, puis je hasardai quelques questions sur son fr��re. Elle me parla, je l'avoue, beaucoup plus de la R��volution que de Marat. Je fus surpris de trouver sous les v��tements et les dehors d'une pauvre femme des id��es viriles, une ��tonnante m��moire des faits, des connaissances assez ��tendues, un langage correct, pr��cis et v��h��ment. Sa mani��re d'appr��cier les caract��res et les ��v��nements ��tait d'ailleurs celle de l'Ami du peuple. Aussi me faisait-elle, au jour taciturne qui r��gnait dans cette chambre, un effet particulier. La terreur qui s'attache aux hommes de 93 me p��n��trait peu �� peu. J'avais froid. Cette femme ne m'apparaissait plus comme la soeur de Marat, mais comme son ombre. Je l'��coutai en silence.
Les paroles qui tombaient de sa bouche ��taient des paroles aust��res.
--On ne fonde pas, me disait-elle, un ��tat d��mocratique avec de l'or ni avec des ambitions, mais avec des vertus. Il faut moraliser le peuple. Une r��publique veut des hommes purs que l'attrait des richesses et les s��ductions des femmes trouvent inflexibles. Il n'y a pas d'autre grandeur sur la terre que celle de travailler pour le maintien des droits et l'observation des devoirs. Cic��ron est grand parce qu'il a su d��jouer les desseins de Catilina et d��fendre les libert��s de Rome. Mon fr��re lui-m��me ne m'est quelque chose que parce qu'il a travaill�� toute sa vie �� d��truire les factions et �� ��tablir le r��gne du peuple: autrement je le renierais. Monsieur, retenez bien ceci: ce n'est pas la libert�� d'un parti qu'il faut vouloir, c'est la libert�� de tous et celle-ci ne s'acquiert dans un ��tat que par des moeurs rigides. Il faut, quand les circonstances l'exigent, sacrifier aux vrais principes sa vie et celle des ennemis du bien public. Mon fr��re est mort �� l'oeuvre. On aura beau faire, l'on n'effacera pas sa m��moire.
Elle me parla ensuite de Robespierre avec
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