Histoire de la Revolution francaise, Tome 10 | Page 4

Adolphe Thiers
partie conservée. Quelques Arabes vivaient dans les décombres de la cité antique; une vieille muraille flanquée de quelques tours enfermait la nouvelle et l'ancienne ville, et tout autour régnaient les sables qui, en égypte, s'avancent partout où la civilisation recule.
Les quatre mille Fran?ais, conduits par Bonaparte, y arrivèrent à la pointe du jour: ils ne rencontrèrent sur cette plage de sable qu'un petit nombre d'Arabes, qui, après quelques coups de fusil, s'enfoncèrent dans le désert. Bonaparte partagea ses soldats en trois colonnes: Bon, avec la première, marcha à droite, vers la porte de Rosette; Kléber, avec la seconde, marcha au centre vers la porte de la Colonne; Menou, avec la troisième, s'avan?a à gauche vers la porte des Catacombes. Les Arabes et les Turcs, excellens soldats derrière un mur, firent un feu bien nourri; mais les Fran?ais montèrent avec des échelles, et franchirent la vieille muraille. Kléber tomba le premier, frappé d'une balle au front. On chassa les Arabes de ruine en ruine, jusqu'à la ville nouvelle. Le combat allait se prolonger de rue en rue, et devenir meurtrier; mais un capitaine turc servit d'intermédiaire pour négocier un accord. Bonaparte déclara qu'il ne venait point pour ravager le pays, ni l'enlever au Grand-Seigneur, mais seulement pour le soustraire à la domination des Mameluks, et venger les outrages que ceux-ci avaient faits à la France. Il promit que les autorités du pays seraient maintenues, que les cérémonies du culte continueraient d'avoir lieu comme par le passé, que les propriétés seraient respectées, etc..... Moyennant ces conditions, la résistance cessa: les Fran?ais furent ma?tres d'Alexandrie le jour même. Pendant ce temps, l'armée avait achevé de débarquer. Il s'agissait maintenant de mettre l'escadre à l'abri, soit dans le port, soit dans l'une des rades voisines, de créer à Alexandrie une administration conforme aux moeurs du pays, et d'arrêter un plan d'invasion pour s'emparer de l'égypte. Pour le moment, les dangers de la mer et d'une rencontre avec les Anglais étaient passés; les plus grands obstacles étaient vaincus avec ce bonheur qui semble toujours accompagner la jeunesse d'un grand homme.
L'égypte, sur laquelle nous venions d'aborder, est le pays le plus singulier, le mieux situé, et l'un des plus fertiles de la terre. Sa position est connue. L'Afrique ne tient à l'Asie que par un isthme de quelques lieues, qu'on appelle l'isthme de Suez, et qui, s'il était coupé, donnerait accès de la Méditerranée dans la mer de Indes, dispenserait les navigateurs d'aller à des distances immenses, et au milieu des tempêtes, doubler le cap de Bonne-Espérance. L'égypte est placée parallèlement à la mer Rouge et à l'isthme de Suez. Elle est la ma?tresse de cet isthme. C'est cette contrée qui, chez les anciens et dans le moyen-age, pendant la prospérité des Vénitiens, était l'intermédiaire du commerce de l'Inde. Telle est sa position entre l'Occident et l'Orient. Sa constitution physique et sa forme ne sont pas moins extraordinaires. Le Nil, l'un des grands fleuves du monde, prend sa source dans les montagnes de l'Abyssinie, fait six cents lieues dans les déserts de l'Afrique, puis entre en égypte, ou plut?t y tombe, en se précipitant des cataractes de Syène, et parcourt encore deux cents lieues jusqu'à la mer. Ses bords constituent toute l'égypte. C'est une vallée de deux cents lieues de longueur, sur cinq à six lieues de largeur. Des deux c?tés elle est bordée par un océan de sables. Quelques cha?nes de montagnes, basses, arides et déchirées, sillonnent tristement ces sables, et projettent à peine quelques ombres sur leur immensité. Les unes séparent le Nil de la mer Rouge, les autres le séparent du grand désert, dans lequel elles vont se perdre. Sur la rive gauche du Nil, à une certaine distance dans le désert, serpentent deux langues de terre cultivable, qui font exception aux sables, et se couvrent d'un peu de verdure. Ce sont les _oasis_, espèces d'?les végétales, au milieu de l'océan des sables. Il y en a deux, la grande et la petite. Un effort des hommes, en y jetant une branche du Nil, en ferait de fertiles provinces. Cinquante lieues avant d'arriver à la mer, le Nil se partage en deux branches, qui vont tomber à soixante lieues l'une de l'autre, dans la Méditerranée, la première à Rosette, la seconde à Damiette. On connaissait autrefois sept bouches au Nil; on les aper?oit encore, mais il n'y en a plus que deux de navigables. Le triangle formé par ces deux grandes branches et par la mer a soixante lieues à sa base et cinquante sur ses c?tés; il s'appelle le Delta. C'est la partie la plus fertile de l'égypte, parce que c'est la plus arrosée, la plus coupée de canaux. Le pays tout entier se divise en trois parties, le Delta ou Basse-égypte, qu'on appelle Bahireh; la Moyenne-égypte, qu'on appelle Ouestanieh; la Haute-égypte,
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