Histoire de la Revolution francaise, Tome 10 | Page 3

Adolphe Thiers
mille hommes de garnison; il y pla?a Régnault (de Saint-Jean-d'Angely), en qualité de commissaire civil. Il fit tous les règlemens administratifs qui étaient nécessaires pour l'établissement du régime municipal dans l'?le, et il mit sur-le-champ à la voile pour cingler vers la c?te d'égypte.
Il leva l'ancre le 1er messidor (19 juin), après une relache de dix jours. L'essentiel maintenant, était de ne pas rencontrer les Anglais. Nelson, radoubé aux ?les Saint-Pierre, avait re?u du lord Saint-Vincent un renfort de dix vaisseaux de ligne et de plusieurs frégates, ce qui lui formait une escadre de treize vaisseaux de haut bord, et de quelques vaisseaux de moindre importance. Il était revenu le 13 prairial (1er juin) devant Toulon; mais l'escadre fran?aise en était sortie depuis douze jours. Il avait couru de Toulon à la rade du Tagliamon, et de la rade du Tagliamon à Naples, où il était arrivé le 2 messidor (20 juin), au moment même où Bonaparte quittait Malte. Apprenant que les Fran?ais avaient paru vers Malte, il les suivait, disposé à les attaquer s'il parvenait à les joindre.
Sur toute l'escadre fran?aise, on était prêt au combat. La possibilité de rencontrer les Anglais était présente à tous les esprits et n'effrayait personne. Bonaparte avait réparti sur chaque vaisseau de ligne cinq cents hommes d'élite, qu'on habituait tous les jours à la manoeuvre du canon, et à la tête desquels se trouvait un de ces généraux si bien habitués au feu sous ses ordres. Il s'était fait un principe sur la tactique maritime, c'est que chaque vaisseau ne devait avoir qu'un but, celui d'en joindre un autre, de le combattre et de l'aborder. Des ordres étaient donnés en conséquence, et il comptait sur la bravoure des troupes d'élite placées à bord des vaisseaux. Ces précautions prises, il cinglait tranquillement vers l'égypte. Cet homme qui, suivant d'absurdes détracteurs, craignait les hasards de la mer, s'abandonnait tranquillement à la fortune, au milieu des flottes anglaises, et avait eu l'audace de perdre quelques jours à Malte pour en faire la conquête. La gaieté régnait sur l'escadre; on ne savait pas exactement où l'on allait, mais le secret commen?ait à se répandre, et on attendait avec impatience la vue des rivages qu'on allait conquérir. Le soir, les savans, les officiers-généraux qui étaient à bord de _l'Orient_, se réunissaient chez le général en chef, et là commen?aient les ingénieuses et savantes discussions de l'Institut d'égypte. Un instant, l'escadre anglaise ne fut qu'à quelques lieues de l'immense convoi fran?ais, et de part et d'autre on l'ignora. Nelson commen?ant à supposer que les Fran?ais s'étaient dirigés sur l'égypte, fit voile pour Alexandrie, et les y devan?a; mais ne les ayant pas trouvés, il vola vers les Dardanelles, pour tacher de les y rencontrer. Par un bonheur singulier, l'expédition fran?aise n'arriva en vue d'Alexandrie que le surlendemain, 13 messidor (1er juillet). Il y avait un mois et demi à peu près qu'elle était sortie de Toulon.
Bonaparte envoya chercher aussit?t le consul fran?ais. Il apprit que les Anglais avaient paru l'avant-veille, et les jugeant dans les parages voisins, il voulut tenter le débarquement à l'instant même. On ne pouvait pas entrer dans le port d'Alexandrie, car la place paraissait disposée à se défendre; il fallait descendre à quelque distance, sur la plage voisine, à une anse dite du Marabout. Le vent soufflait violemment, et la mer se brisait avec furie sur les récifs de la c?te. C'était vers la fin du jour. Bonaparte donna le signal et voulut aborder sur-le-champ. Il descendit le premier dans une chaloupe; les soldats demandaient à grands cris à le suivre à la c?te. On commen?a à mettre les embarcations à la mer, mais l'agitation des flots les exposait à chaque instant à se briser les unes contre les autres. Enfin, après de grands dangers, on toucha le rivage. A l'instant une voile parut à l'horizon; on crut que c'était une voile anglaise: ?_Fortune_, s'écria Bonaparte, _tu m'abandonnes! quoi! pas seulement cinq jours!_? La fortune ne l'abandonnait pas, car c'était une frégate fran?aise qui rejoignait. On eut beaucoup de peine à débarquer quatre ou cinq mille hommes, dans la soirée et dans la nuit. Bonaparte résolut de marcher sur-le-champ vers Alexandrie, afin de surprendre la place, et de ne pas donner aux Turcs le temps de faire des préparatifs de défense. On se mit tout de suite en marche. Il n'y avait pas un cheval de débarqué; l'état-major, Bonaparte et Caffarelli lui-même, malgré sa jambe de bois, firent quatre à cinq lieues à pied dans les sables, et arrivèrent à la pointe du jour en vue d'Alexandrie.
Cette antique cité, fille d'Alexandre, n'avait plus ses magnifiques édifices, ses innombrables demeures, sa grande population; elle était ruinée aux trois quarts. Les Turcs, les égyptiens opulens, les négocians européens habitaient dans la ville moderne, qui était la seule
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