Histoire de la Revolution francaise, Tome 10 | Page 5

Adolphe Thiers
qu'on appelle le Sa?d.
Les vents étésiens soufflant d'une manière constante du nord au sud, pendant les mois de mai, juin et juillet, entra?nent tous les nuages formés à l'embouchure du Nil, n'en laissent pas séjourner un seul sur cette contrée toujours sereine, et les portent vers les monts d'Abyssinie. Là ces nuages s'agglomèrent, se précipitent en pluie pendant les mois de juillet, ao?t et septembre, et produisent le phénomène célèbre des inondations du Nil. Ainsi, cette terre re?oit par les débordemens du fleuve, les eaux qu'elle ne re?oit pas du ciel. Il n'y pleut jamais, et les marécages du Delta, qui seraient pestilentiels sous le ciel de l'Europe, ne produisent pas en égypte une seule fièvre. Le Nil, après son inondation, laisse un limon fertile, qui est la seule terre cultivable sur ces bords, et qui produit ces abondantes moissons consacrées autrefois à nourrir Rome. Plus l'inondation s'est étendue, plus il y a de terre cultivable. Les propriétaires de cette terre, nivelée tous les ans par les eaux, se la partagent tous les ans par l'arpentage. Aussi l'arpentage est-il un grand art en égypte. Des canaux pourraient étendre l'inondation, et auraient l'avantage de diminuer la rapidité des eaux, de les faire séjourner plus long-temps, et d'étendre la fertilité aux dépens du désert. Nulle part le travail de l'homme ne pourrait avoir de plus salutaires effets; nulle part la civilisation ne serait plus souhaitable. Le Nil et le désert se disputent l'égypte, et c'est la civilisation qui donnerait au Nil le moyen de vaincre le désert et de le faire reculer. On croit que l'égypte nourrissait autrefois vingt millions d'habitans, sans compter les Romains. Elle était à peine capable d'en nourrir trois millions quand les Fran?ais y entrèrent.
L'inondation finit à peu près en septembre. Alors commencent les travaux des champs. Pendant les mois d'octobre, novembre, décembre, janvier, février, la campagne d'égypte présenté un aspect ravissant de fertilité et de fra?cheur. Elle est couverte alors des plus riches moissons, émaillée de fleurs, traversée par d'immenses troupeaux. En mars les chaleurs commencent; la terre se gerce si profondément, qu'il est quelquefois dangereux de la traverser à cheval. Les travaux des champs sont alors finis. Les égyptiens ont recueilli toutes les richesses de l'année. Outre les blés, l'égypte produit les meilleurs riz, les plus beaux légumes, le sucre, l'indigo, le séné, la casse, le natron, le lin, le chanvre, le coton, tout cela avec une merveilleuse abondance. Il lui manque des huiles; mais elle les trouve vis-à-vis, en Grèce; il lui manque le tabac et le café, mais elle les trouve à ses c?tés, dans la Syrie et l'Arabie. Elle est aussi privée de bois, car la grande végétation ne peut pas pousser sur ce limon annuel que le Nil dépose sur un fond de sable. Quelques sycomores et quelques palmiers sont les seuls arbres de l'égypte. A défaut de bois on br?le la bouse de vache. L'égypte nourrit d'immenses troupeaux. Les volailles de toute espèce y fourmillent. Elle a ces admirables chevaux, si célèbres dans le monde par leur beauté, leur vivacité, leur familiarité avec leurs ma?tres, et cet utile chameau, qui peut manger et boire pour plusieurs jours, dont le pied enfonce sans fatigue dans les sables mouvans, et qui est comme un navire vivant pour traverser la mer des sables.
Tous les ans arrivent au Caire d'innombrables caravanes, qui abordent comme des flottes des deux c?tés du désert. Les unes viennent de la Syrie et de l'Arabie, les autres de l'Afrique et des c?tes de Barbarie. Elles apportent tout ce qui est propre aux pays du soleil, l'or, l'ivoire, les plumes, les schalls inimitables, les parfums, les gommes, les aromates de toute espèce, le café, le tabac, les bois et les esclaves. Le Caire devient un entrep?t magnifique des plus belles productions du globe, de celles que le génie si puissant des occidentaux ne pourra jamais imiter, car c'est le soleil qui les donne, et dont leur go?t délicat les rendra toujours avides. Aussi le commerce de l'Inde est-il le seul dont les progrès des peuples n'amèneront jamais la fin. Il ne serait donc pas nécessaire de faire de l'égypte un poste militaire, pour aller détruire violemment le commerce des Anglais. Il suffirait d'y établir un entrep?t, avec la s?reté, les lois et les commodités européennes, pour attirer les richesses du monde.
La population qui occupe l'égypte est, comme les ruines des cités qui la couvrent, un amas des débris de plusieurs peuples. Des Cophtes, anciens habitans de l'égypte, des Arabes, conquérans de l'égypte sur les Cophtes, des Turcs conquérans sur les Arabes, telles sont les races dont les débris pullulent misérablement sur une terre dont ils sont indignes. Les Cophtes, quand les Fran?ais y entrèrent, étaient deux cent mille au plus. Méprisés, pauvres, abrutis, ils s'étaient voués, comme toutes les classes proscrites,
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