?le, qui, commandant la navigation de la Méditerranée, devenait importante pour l'égypte, et qui ne pouvait manquer d'échoir bient?t aux Anglais, si on ne les prévenait.
L'ordre des chevaliers de Malte était comme toutes les institutions du moyen-age: il avait perdu son objet, et dès lors sa dignité et sa force. Il n'était plus qu'un abus, profitable seulement à ceux qui l'exploitaient. Les chevaliers avaient en Espagne, en Portugal, en France, en Italie, en Allemagne, des biens considérables, qui leur avaient été donnés par la piété des fidèles pour protéger les chrétiens allant visiter les saints lieux. Maintenant qu'il n'y avait plus de pèlerinages de cette espèce, le r?le et le devoir des chevaliers étaient de protéger les nations chrétiennes contre les Barbaresques, et de détruire l'infame piraterie qui infeste la Méditerranée. Les biens de l'ordre suffisaient à l'entretien d'une marine considérable; mais les chevaliers ne s'occupaient aucunement à en former une: ils n'avaient que deux ou trois vieilles frégates, ne sortant jamais du port, et quelques galères qui allaient donner et recevoir des fêtes dans les ports d'Italie. Les baillifs, les commandeurs, placés dans toute la chrétienté, dévoraient dans le luxe et l'oisiveté les revenus de l'ordre. Il n'y avait pas un chevalier qui e?t fait la guerre aux Barbaresques. L'ordre n'inspirait d'ailleurs plus aucun intérêt. En France on lui avait enlevé ses biens, et Bonaparte les avait fait saisir en Italie, sans qu'il s'élevat aucune réclamation en sa faveur. On a vu que Bonaparte avait songé déjà à pratiquer des intelligences dans Malte. Il avait gagné quelques chevaliers, et il se proposait de les intimider par un coup d'audace, et de les obliger à se rendre; car il n'avait ni le temps ni les moyens d'une attaque régulière contre une place réputée imprenable. L'ordre, qui depuis quelque temps pressentait ses dangers en voyant les escadres fran?aises dominer dans la Méditerranée, s'était mis sous la protection de Paul Ier.
Bonaparte faisait de grands efforts pour rejoindre la division de Civita-Vecchia; il ne put la joindre qu'à Malte même. Les cinq cents voiles fran?aises se déployèrent à la vue de l'?le, le 21 prairial (9 juin), vingt-deux jours après la sortie de Toulon. Cette vue répandit le trouble dans la ville de Malte. Bonaparte, pour avoir un prétexte de s'arrêter, et pour faire na?tre un sujet de contestation, demanda au grand-ma?tre la faculté de faire de l'eau. Le grand-ma?tre, Ferdinand de Hompesch, fit répondre par un refus absolu, alléguant les réglemens, qui ne permettaient pas d'introduire à la fois plus de deux vaisseaux appartenant à des puissances belligérantes. On avait autrement accueilli les Anglais quand ils s'étaient présentés. Bonaparte dit que c'était là une preuve de la plus insigne malveillance, et sur-le-champ fit ordonner un débarquement. Le lendemain, 22 prairial (10 juin), les troupes fran?aises débarquèrent dans l'?le, et investirent complètement Lavalette, qui compte trente mille ames à peu près de population, et qui est l'une des plus fortes places de l'Europe. Bonaparte fit débarquer de l'artillerie pour canonner les forts. Les chevaliers répondirent à son feu, mais très mal. Ils voulurent faire une sortie, et il y en eut un grand nombre de pris. Le désordre se mit alors à l'intérieur. Quelques chevaliers de la langue fran?aise déclarèrent qu'ils ne pouvaient pas se battre contre leurs compatriotes. On en jeta quelques-uns dans les cachots. Le trouble était dans les têtes; les habitans voulaient qu'on se rend?t. Le grand-ma?tre, qui avait peu d'énergie, et qui se souvenait de la générosité du vainqueur de Rivoli à Mantoue, songea à sauver ses intérêts du naufrage, fit sortir de prison l'un des chevaliers fran?ais qu'il y avait jetés, et l'envoya à Bonaparte pour négocier. Le traité fut bient?t arrêté. Les chevaliers abandonnèrent à la France la souveraineté de Malte et des ?les en dépendant; en retour, la France promit son intervention au congrès de Rastadt, pour faire obtenir au grand-ma?tre une principauté en Allemagne, et à défaut, elle lui assura une pension viagère de 300,000 francs et une indemnité de 600,000 francs comptant. Elle accorda à chaque chevalier de la langue fran?aise 700 fr. de pension, et 1,000 pour les sexagénaires; elle promit sa médiation pour que ceux des autres langues fussent mis en jouissance des biens de l'ordre, dans leurs pays respectifs. Telles furent les conditions au moyen desquelles la France entra en possession du premier port de la Méditerranée, et de l'un des plus forts du monde. Il fallait l'ascendant de Bonaparte pour l'obtenir sans combattre; il fallait son audace pour oser y perdre quelques jours, ayant les Anglais à sa poursuite. Caffarelli-Dufalga, aussi spirituel que brave, en parcourant la place dont il admirait les fortifications, dit ce mot: _Nous sommes bien heureux qu'il y ait eu quelqu'un dans la place pour nous en ouvrir les portes._
Bonaparte laissa Vaubois à Malte, avec trois
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