Histoire de la Revolution francaise, III | Page 8

Adolphe Thiers
ordonnée.
Roland fut entendu sur l'état de la France et de la capitale. Aussi sévère et plus hardi encore qu'au 3 septembre, il exposa avec énergie les désordres de Paris, les causes et les moyens de les prévenir. Il recommanda l'institution prompte d'un gouvernement fort et vigoureux, comme la seule garantie d'ordre dans les états libres. Son rapport, entendu avec faveur, fut couvert d'applaudissemens, et n'excita cependant aucune explosion chez ceux qui se regardaient comme accusés dès qu'il s'agissait des troubles de Paris.
Mais à peine ce premier coup d'oeil était-il jeté sur la situation de la France, qu'on apprend la nouvelle de la propagation du désordre dans certains départemens. Roland écrit une lettre à la convention pour lui dénoncer de nouveaux excès, et en demander la répression. Aussit?t cette lecture achevée, les députés Kersaint, Buzot, s'élancent à la tribune pour dénoncer les violences de tout genre qui commencent à se commettre partout. ?Les assassinats, disent-ils, sont imités dans les départemens. Ce n'est pas l'anarchie qu'il faut en accuser, mais des tyrans d'une nouvelle espèce, qui s'élèvent sur la France à peine affranchie. C'est de Paris que partent tous les jours ces funestes inspirations du crime. Sur tous les murs de la capitale, on lit des affiches qui provoquent aux meurtres, aux incendies, aux pillages, et des listes de proscription où sont désignées chaque jour de nouvelles victimes. Comment préserver le peuple d'une affreuse misère, si tant de citoyens sont condamnés à cacher leur existence? Comment faire espérer à la France une constitution, si la convention, qui doit la décréter, délibère sous les poignards? Il faut, pour l'honneur de la révolution, arrêter tant d'excès, et distinguer entre la bravoure civique qui a bravé le despotisme au 10 ao?t, et la cruauté servant, aux 2 et 3 septembre, une tyrannie muette et cachée.?
En conséquence, les orateurs demandent l'établissement d'un comité chargé,
1. De rendre compte de l'état de la république et de Paris en particulier;
2. De présenter un projet de loi contre les provocateurs au meurtre et à l'assassinat;
3. De rendre compte des moyens de donner à la convention nationale une force publique à sa disposition, prise dans les quatre-vingt-trois départemens.
A cette proposition, tous les membres du c?té gauche, où s'étaient rangés les esprits les plus ardens de la nouvelle assemblée, poussent des cris tumultueux. On exagère, suivant eux, les maux de la France. Les plaintes hypocrites qu'on vient d'entendre partent du fond des cachots, où ont été justement plongés les suspects qui, depuis trois ans, appelaient la guerre civile sur leur patrie. Les maux dont on se plaint étaient inévitables; le peuple est en état de révolution, et il devait prendre des mesures énergiques pour son salut. Aujourd'hui, ces momens critiques sont passés, et les déclarations que vient de faire la convention suffiront pour apaiser les troubles. D'ailleurs, pourquoi une juridiction Extraordinaire? Les anciennes lois existent, et suffisent pour les provocations au meurtre. Serait-ce encore une nouvelle loi martiale qu'on voudrait établir?
Par une contradiction bien ordinaire chez les partis, ceux qui avaient demandé la juridiction extraordinaire du 17 ao?t, ceux qui allaient demander le tribunal révolutionnaire, s'élevaient contre une loi qui, disaient-ils, était une loi de sang! ?Une loi de sang, répond Kersaint, lorsque je veux au contraire en prévenir l'effusion!? Cependant l'ajournement est vivement demandé. ?Ajourner la répression des meurtres, s'écrie Vergniaud, c'est les ordonner! Les ennemis de la France sont en armes sur notre territoire, et l'on veut que les citoyens fran?ais, au lieu de combattre, s'entr'égorgent comme les soldats de Cadmus!...?
Enfin la proposition de Kersaint et Buzot est adoptée tout entière. On décrète qu'il sera préparé des lois pour la punition des provocateurs au meurtre, et pour l'organisation d'une garde départementale.
Cette séance du 24 septembre avait causé une grande émotion dans les esprits; cependant aucun nom n'avait été prononcé, et les accusations étaient restées générales. Le lendemain, on s'aborde avec les ressentimens de la veille, et d'une part on murmure contre les décrets rendus, de l'autre on éprouve le regret de n'avoir pas assez dit contre la fa?on appelée _désorganisatrice_. Tandis qu'on attaque les décrets, ou qu'on les défend, Merlin, autrefois huissier et officier municipal à Thionville, puis député à la législative, où il se signala parmi les patriotes les plus prononcés, Merlin, fameux par son ardeur et sa bravoure, demande la parole. ?L'ordre du jour, dit-il, est d'éclaircir si, comme Lasource me l'a assuré hier, il existe, au sein de la convention nationale, une faction qui veuille établir un triumvirat ou une dictature: il faut ou que les défiances cessent, ou que Lasource indique les coupables, et je jure de les poignarder en face de l'assemblée.? Lasource, si vivement sommé de s'expliquer, rapporte sa conversation avec Merlin, et désigne de nouveau, sans les nommer, les ambitieux qui veulent s'élever sur les ruines de la royauté détruite. ?Ce sont ceux
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