de Robespierre; et, pendant qu'il se livre contre ces prétendus ennemis de la vertu aux déclamations de la haine, déclamations déjà fort usées, il excite peu d'enthousiasme. Mais bient?t il abandonne cette partie du sujet, et s'élève à des idées vraiment grandes et morales, exprimées avec talent. Il obtient alors des acclamations universelles. Il observe avec raison que ce n'est pas comme auteurs de systèmes que les représentans[1] de la nation doivent poursuivre l'athéisme et proclamer le déisme, mais comme des législateurs, cherchant quels sont les principes les plus convenables à l'homme réuni en société. ?Que vous importent à vous, législateurs, s'écrie-t-il, que vous importent les hypothèses diverses par lesquelles certains philosophes expliquent les phénomènes de la nature? Vous pouvez abandonner tous ces objets à leurs disputes éternelles; ce n'est ni comme métaphysiciens, ni comme théologiens que vous devez les envisager: aux yeux du législateur, tout ce qui est utile au monde et bon dans la pratique, est la vérité. L'idée de l'être suprême et de l'immortalité de l'ame est un rappel continuel à la justice; elle est donc sociale et républicaine.... Qui donc t'a donné, s'écrie encore Robespierre, la mission d'annoncer au peuple que la Divinité n'existe pas? O toi qui te passionnes pour cette aride doctrine, et qui ne te passionnas jamais pour la patrie! quel avantage trouves-tu à persuader à l'homme qu'une force aveugle préside à ses destinées et frappe au hasard le crime et la vertu? que son ame n'est qu'un souffle léger qui s'éteint aux portes du tombeau? L'idée de son néant lui inspirera-t-elle des sentimens[1] plus purs et plus élevés que celle de son immortalité? Lui inspirera-t-elle plus de respect pour ses semblables et pour lui-même, plus de dévouement pour la patrie, plus d'audace à braver la tyrannie, plus de mépris pour la mort ou pour la volupté? Vous, qui regrettez un ami vertueux, vous aimez à penser que la plus belle partie de lui-même a échappé au trépas! Vous, qui pleurez sur le cercueil d'un fils ou d'une épouse, êtes-vous consolé par celui qui vous dit qu'il ne reste plus d'eux qu'une vile poussière? Malheureux qui expirez sous les coups d'un assassin, votre dernier soupir est un appel à la justice éternelle! L'innocence sur l'échafaud fait palir le tyran sur son char de triomphe. Aurait-elle cet ascendant si le tombeau égalait l'oppresseur et l'opprimé?...?
Robespierre, s'attachant toujours à saisir le c?té politique de la question, ajoute ces observations remarquables: ?Prenons ici, dit-il, les le?ons de l'histoire. Remarquons, je vous prie, comment les hommes qui ont influé sur la destinée des états furent déterminés vers l'un ou l'autre des deux systèmes opposés, par leur caractère personnel, et par la nature même de leurs vues politiques. Voyez-vous avec quel art profond César, plaidant dans le sénat romain en faveur des complices de Catilina, s'égare dans une digression contre le dogme de l'immortalité de l'ame, tant ces idées lui paraissent propres à éteindre dans le coeur des juges l'énergie de la vertu, tant la cause du crime lui para?t liée à celle de l'athéisme! Cicéron, au contraire, invoquait contre les tra?tres et le glaive des lois et la foudre des dieux. Socrate mourant entretient ses amis de l'immortalité de l'ame. Léonidas, aux Thermopyles, soupant avec ses compagnons d'armes au moment d'exécuter le dessein le plus héro?que que la vertu humaine ait jamais con?u, les invite pour le lendemain à un autre banquet pour une vie nouvelle.... Caton ne balan?a point entre épicure et Zénon. Brutus et les illustres conjurés qui partagèrent ses périls et sa gloire appartenaient aussi à cette secte sublime des sto?ciens, qui eut des idées si hautes de la dignité de l'homme, qui poussa si loin l'enthousiasme de la vertu, et qui n'outra que l'héro?sme. Le sto?cisme enfanta des émules de Brutus et de Caton jusque dans les siècles affreux qui suivirent la perte de la liberté romaine; le sto?cisme sauva l'honneur de la nature humaine, dégradée par les vices des successeurs de César, et surtout par la patience des peuples.?
Au sujet de l'athéisme, Robespierre s'explique d'une manière singulière sur les encyclopédistes. ?Cette secte, dit-il, en matière de politique, resta toujours au-dessous des droits du peuple; en matière de morale elle alla beaucoup au-delà de la destruction des préjugés religieux: ses coryphées déclamaient quelquefois contre le despotisme, et ils étaient pensionnés par les despotes; ils faisaient tant?t des livres contre la cour, et tant?t des dédicaces aux rois, des discours pour les courtisans, et des madrigaux pour les courtisanes; ils étaient fiers dans leurs écrits et rampans[1] dans les antichambres. Cette secte propagea avec beaucoup de zèle l'opinion du matérialisme, qui prévalut parmi les grands et parmi les beaux esprits; on lui doit en partie cette espèce de philosophie pratique qui, réduisant l'égo?sme en système, regarde la société humaine comme une guerre de ruse,
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