Histoire de la Révolution française, VI | Page 8

Adolphe Thiers
le succès comme la règle du juste et de l'injuste, la probité comme une affaire de go?t ou de bienséance, le monde comme le patrimoine des fripons adroits....
?Parmi ceux qui au temps dont je parle se signalèrent dans la carrière des lettres et de la philosophie, un homme par l'élévation de son ame et la grandeur de son caractère, se montra digne du ministère de précepteur du genre humain: il attaqua la tyrannie avec franchise; il parla avec enthousiasme de la Divinité; son éloquence male et probe peignit en traits de feu les charmes de la vertu; elle défendit ces dogmes consolateurs que la raison donne pour appui au coeur humain. La pureté de sa doctrine, puisée dans la nature et dans la haine profonde du vice, autant que son mépris invincible pour les sophistes intrigans[1] qui usurpaient le nom de philosophes, lui attira la haine et la persécution de ses rivaux et de ses faux amis. Ah! s'il avait été témoin de cette révolution dont il fut le précurseur, qui peut douter que son ame généreuse e?t embrassé avec transport la cause de la justice et de l'égalité!?
Robespierre s'attache ensuite à écarter cette idée que le gouvernement, en proclamant le dogme de l'être suprême, travaille pour les prêtres. Il s'exprime ainsi qu'il suit: ?Qu'y a-t-il de commun entre les prêtres et Dieu? Les prêtres sont à la morale ce que les charlatans sont à la médecine. Combien le Dieu de la nature est différent du Dieu des prêtres! Je ne reconnais rien de si ressemblant à l'athéisme que les religions qu'ils ont faites. A force de défigurer l'être suprême, ils l'ont anéanti autant qu'il était en eux: ils en ont fait tant?t un globe de feu, tant?t un boeuf, tant?t un arbre, tant?t un homme, tant?t un roi. Les prêtres ont créé un Dieu à leur image; ils l'ont fait jaloux, capricieux, avide, cruel, implacable; ils l'ont traité comme jadis les maires du palais traitèrent les descendans de Clovis pour régner en son nom et se mettre à sa place; ils l'ont relégué dans le ciel comme dans un palais, et ne l'ont appelé sur la terre que pour demander, à leur profit, des d?mes, des richesses, des honneurs, des plaisirs et de la puissance. Le véritable temple de l'être suprême c'est l'univers; son culte, la vertu; ses fêtes, la joie d'un grand peuple rassemblé sous ses yeux pour resserrer les noeuds de la fraternité universelle, et pour lui présenter l'hommage des coeurs sensibles et purs.?
Robespierre dit ensuite qu'il faut des fêtes à un peuple. ?L'homme, dit-il, est le plus grand objet qui soit dans la nature; et le plus magnifique de tous les spectacles, c'est celui d'un grand peuple assemblé.? En conséquence il propose des plans de réunion pour tous les jours de décadis. Son rapport s'achève au milieu des plus vifs applaudissemens. Il présente enfin le décret suivant, qui est adopté par acclamation:
?Art. 1er. Le peuple fran?ais reconna?t l'existence de l'être suprême et l'immortalité de l'ame.
?Art. 2. Il reconna?t que le culte le plus digne de l'être suprême est la pratique des devoirs de l'homme.?
D'autres articles portent qu'il sera institué des fêtes pour rappeler l'homme à la pensée de la Divinité et à la dignité de son être. Elles emprunteront leurs noms des événemens de la révolution, ou des vertus les plus utiles à l'homme. Outre les fêtes du 14 juillet, du 10 ao?t, du 21 janvier et du 31 mai, la république célébrera tous les jours de décadis les fêtes suivantes:--à l'être suprême,--au genre humain,--au peuple fran?ais,--aux bienfaiteurs de l'humanité,--aux martyrs de la liberté,--à la liberté et à l'égalité,--à la république,--à la liberté du monde,--à l'amour de la patrie,--à la haine des tyrans et des tra?tres,--à la vérité,--à la justice,--à la pudeur,--à la gloire,--à l'amitié,--à la frugalité,--au courage,--à la bonne foi,--à l'héro?sme,--au désintéressement,--au sto?cisme,--à l'amour,--à la foi conjugale,--à l'amour paternel,--à la tendresse maternelle,--à la piété filiale,--à l'enfance,--à la jeunesse,--à l'age viril,--à la vieillesse,--au malheur,--à l'agriculture,--à l'industrie,--à nos a?eux,--à la postérité,--au bonheur.
Une fête solennelle est ordonnée pour le 20 prairial, et le plan en est confié à David. Il faut ajouter que, dans ce décret, la liberté des cultes est proclamée de nouveau.
A peine ce rapport est-il achevé, qu'il est livré à l'impression. Dans la même journée la commune, les jacobins, en demandent la lecture, le couvrent d'applaudissemens, et délibèrent d'aller en corps témoigner à la convention leurs remerciemens pour le sublime décret qu'elle vient de rendre. On avait observé que les jacobins n'avaient pas pris la parole après l'immolation des deux partis, et n'étaient pas allés féliciter le comité et la convention. Un membre leur en fait la remarque, et dit que l'occasion se présente de prouver l'union des jacobins avec un gouvernement qui déploie une si belle conduite. Une adresse est en effet rédigée, et
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