prosterner cette république sauvée, victorieuse et comblée de tous les dons, aux pieds de l'éternel. L'occasion était grande et touchante pour ceux de ces hommes qui croyaient; elle était opportune pour ceux qui n'obéissaient qu'à des idées politiques.
Remarquons une chose bien singulière. Des sectaires pour lesquels il n'existait plus aucune convention humaine qui f?t respectable; qui, grace à leur mépris extraordinaire pour tous les autres peuples, et à l'estime dont ils étaient remplis pour eux-mêmes, ne redoutaient aucune opinion, et ne craignaient pas de blesser celle du monde; qui, en fait de gouvernement, avaient tout réduit à l'absolu nécessaire; qui n'avaient admis d'autre autorité que celle de quelques citoyens temporairement élus; qui avaient rejeté toute hiérarchie de classes; qui n'avaient pas craint d'abolir le plus ancien et le mieux enraciné de tous les cultes, de tels sectaires s'arrêtaient devant deux idées, la morale et Dieu. Après avoir rejeté toutes celles dont ils croyaient pouvoir dégager l'homme, ils restaient dominés par l'empire de ces deux dernières, et immolaient un parti à chacune. Si tous ne croyaient pas, tous cependant sentaient le besoin de l'ordre entre les hommes, et, pour appuyer cet ordre humain, ils comprenaient la nécessité de reconna?tre dans l'univers un ordre général et intelligent. C'est la première fois, dans l'histoire du monde, que la dissolution de toutes les autorités laissait la société en proie au gouvernement des esprits purement systématiques (car les Anglais croyaient à des traditions chrétiennes), et ces esprits, qui avaient dépassé toutes les idées re?ues, adoptaient, conservaient les idées de la morale et de Dieu. Cet exemple est unique dans les annales du monde; il est singulier, il est grand et beau; l'histoire doit s'arrêter pour en faire la remarque.
Robespierre fut rapporteur dans cette occasion solennelle, et lui seul devait l'être d'après la distribution des r?les qui s'était faite entre les membres du comité. Prieur, Robert-Lindet, Carnot, s'occupaient silencieusement de l'administration et de la guerre. Barrère faisait la plupart des rapports, particulièrement ceux qui étaient relatifs aux opérations des armées, et en général tous ceux qu'il fallait improviser. Le déclamateur Collot-d'Herbois était dépêché dans les clubs et les réunions populaires, pour y porter les paroles du comité. Couthon, quoique paralytique, allait aussi partout, parlait à la convention, aux Jacobins, au peuple, et avait l'art d'intéresser par ses infirmités, et par le ton paternel qu'il prenait en disant les choses les plus violentes. Billaud, moins mobile, s'occupait de la correspondance, et traitait quelquefois les questions de politique générale. Saint-Just, jeune, audacieux et actif, allait et venait des champs de bataille au comité; quand il avait imprimé la terreur et l'énergie aux armées, il revenait faire des rapports meurtriers contre les partis qu'il fallait envoyer à la mort. Robespierre enfin, leur chef à tous, consulté sur toutes les matières, ne prenait la parole que dans les grandes occasions. Il traitait les hautes questions morales et politiques; on lui réservait ces beaux sujets, comme plus dignes de son talent et de sa vertu. Le r?le de rapporteur lui appartenait de droit dans la question qu'on allait traiter. Aucun ne s'était prononcé plus fortement contre l'athéisme, aucun n'était aussi vénéré, aucun n'avait une aussi grande réputation de pureté et de vertu, aucun enfin, par son ascendant et son dogmatisme, n'était plus propre à cette espèce de pontificat.
Jamais occasion n'avait été plus belle pour imiter ce Rousseau, dont il professait les opinions, et du style duquel il faisait une étude continuelle. Le talent de Robespierre s'était singulièrement développé dans les longues luttes de la révolution. Cet être froid et pesant commen?ait à bien improviser; et quand il écrivait, c'était avec pureté, éclat et force. On retrouvait dans son style quelque chose de l'humeur apre et sombre de Rousseau, mais il n'avait pu se donner ni les grandes pensées, ni l'ame généreuse et passionnée de l'auteur d'_émile_.
Il partit à la tribune le 18 floréal (7 mai 1794), avec un discours soigneusement travaillé. Une attention profonde lui fut accordée. ?Citoyens, dit-il en débutant, c'est dans la prospérité que les peuples, ainsi que les particuliers, doivent pour ainsi dire se recueillir, pour écouter dans le silence des passions la voix de la sagesse.? Alors il développe longuement le système adopté. La république, suivant lui, c'est la vertu; et tous les adversaires qu'elle avait rencontrés ne sont que les vices de tous genres soulevés contre elle, et soudoyés par les rois. Les anarchistes, les corrompus, les athées, n'ont été que les agens[1] de Pitt. ?Les tyrans, ajoute-t-il, satisfaits de l'audace de leurs émissaires, s'étaient empressés d'étaler aux yeux de leurs sujets les extravagances qu'ils avaient achetées; et, feignant de croire que c'était là le peuple fran?ais, ils semblaient leur dire: Que gagnerez-vous à secouer notre joug? _Vous le voyez, les républicains ne valent pas mieux que nous!_? Brissot, Danton, Hébert, figurent alternativement dans le discours
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