Histoire de la Révolution française, VI | Page 5

Adolphe Thiers
société un comité chargé de recevoir les dénonciations, et de les transmettre secrètement au comité de salut public. De cette manière, les dénonciations devenaient moins incommodes et moins bruyantes, et au désordre démagogique commen?ait à succéder la régularité des formes administratives.
Ainsi donc, se prononcer d'une manière toujours plus énergique contre les ennemis de la révolution, centraliser l'administration, la police et l'opinion, furent les premiers soins du comité, et les premiers fruits de la victoire remportée sur les partis. Sans doute, l'ambition commen?ait maintenant à avoir part à ces déterminations, beaucoup plus que dans le premier moment de son existence, mais pas autant que le ferait supposer la grande masse de pouvoir qu'il s'était acquise. Institué au commencement de la campagne de 1793, et au milieu de périls urgens[1], il avait re?u son existence de la nécessité seule. Une fois établi, il avait pris successivement une plus grande part de pouvoir, suivant que l'exigeait le service de l'état, et il était ainsi arrivé à la dictature même. Sa position au milieu de cette dissolution universelle de toutes les autorités était telle, qu'il ne pouvait pas réorganiser sans gagner du pouvoir, et faire bien sans y mettre de l'ambition. Ses dernières mesures lui étaient profitables sans doute, mais elles étaient en elles-mêmes prudentes et utiles. La plupart même lui avaient été suggérées; car, dans une société qui se réorganise, tout vient s'offrir et se soumettre à l'autorité créatrice. Mais il touchait au moment où l'ambition allait régner seule, et où l'intérêt de sa propre puissance allait remplacer celui de l'état. Tel est l'homme; il ne peut pas rester désintéressé longtemps, et il s'ajoute bient?t lui-même au but qu'il poursuit.
Il restait au comité de salut public un dernier soin à prendre, celui qui préoccupe toujours les instituteurs d'une société nouvelle, c'est la religion. Déjà il s'était occupé des idées morales en mettant _la probité, la justice, et toutes les vertus, à l'ordre du jour_, il lui restait à s'occuper des idées religieuses.
Remarquons ici chez ces sectaires le singulier progrès de leurs systèmes. Quand il fallut détruire les girondins, ils virent en eux des modérés, des républicains faibles, ils parlèrent d'énergie patriotique et de _salut public_, et les immolèrent à ces idées. Quand il se forma deux nouveaux partis, l'un brutal, extravagant, voulant tout renverser, tout profaner; l'autre indulgent, facile, ami des moeurs douces et des plaisirs, ils passèrent des idées d'énergie patriotique à celles d'ordre et de vertu; ils ne virent plus qu'une fatale modération énervant les forces de la révolution; ils virent tous les vices soulevés à la fois contre la sévérité du régime républicain; d'une part l'anarchie rejetant toute idée d'ordre, et de l'autre, la mollesse et la corruption rejetant toute idée de moeurs, le délire de l'esprit rejetant toute idée de Dieu; alors ils crurent voir la république attaquée, comme la vertu, par toutes les mauvaises passions à la fois. Le mot de vertu fut partout; ils mirent la justice, la probité, à l'ordre du jour. Il leur restait à proclamer Dieu, l'immortalité de l'ame, toutes les croyances morales; il leur restait à faire une profession de foi solennelle, à déclarer en un mot la religion de l'état. Ils résolurent donc de rendre un décret à ce sujet. De cette manière, ils opposaient aux anarchistes l'ordre, aux athées Dieu, aux corrompus les moeurs. Leur système de la vertu était complet. Il mettaient surtout un grand prix à laver la république des reproches d'impiété dont elle était poursuivie dans toute l'Europe; ils voulaient dire ce qu'on dit toujours aux prêtres qui vous accusent d'être impies, parce qu'on ne croit pas à leurs dogmes: NOUS CROYONS EN DIEU.
Ils avaient encore d'autres motifs de prendre une grande mesure à l'égard du culte. On avait aboli les cérémonies de la Raison; il fallait des fêtes pour les jours de décade; et il importait, en songeant aux besoins moraux et religieux du peuple, de songer aussi à ses besoins d'imagination, et de lui donner des sujets de réunions publiques. D'ailleurs, le moment était des plus favorables: la république, victorieuse à la fin de la campagne précédente, commen?ait à l'être encore au début de celle-ci. Au lieu du dénuement de moyens dans lequel elle se trouvait l'année dernière, elle était, par les soins de son gouvernement, pourvue des plus puissantes ressources militaires. De la crainte d'être conquise, elle passait à l'espoir de conquérir; au lieu d'insurrections effrayantes, la soumission régnait partout. Enfin si, à cause des assignats et du _maximum_, il y avait encore de la gêne dans la distribution intérieure des produits, la nature semblait s'être plu à combler la France de tous les biens, en lui accordant les plus belles récoltes. De toutes les provinces on annon?ait que la moisson serait double, et m?re un mois avant l'époque accoutumée. C'était donc le moment de
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