Histoire de la Révolution française, VI | Page 3

Adolphe Thiers

fait mettre tous les aristocrates hors la loi. Ce décret étant inexécutable
par son étendue, on en rendit un autre, qui condamnait tous les suspects
à la détention provisoire. Mais aucune loi directe contre les ex-nobles

n'avait encore été portée. Saint-Just les montra comme des ennemis
irréconciliables de la révolution. «Quoi que vous fassiez, dit-il, vous ne
pourrez jamais contenter les ennemis du peuple, à moins que vous ne
rétablissiez la tyrannie. Il faut donc qu'ils aillent chercher ailleurs
l'esclavage et les rois. Ils ne peuvent faire de paix avec vous; vous ne
parlez point la même langue: vous ne vous entendrez jamais.
Chassez-les donc! L'univers n'est point inhospitalier, et le salut public
est parmi nous la suprême loi.» Saint-Just proposa un décret qui
bannissait tous les ex-nobles, tous les étrangers, de Paris, des places
fortes, des ports maritimes, et qui mettait hors la loi ceux qui n'auraient
pas obéi au décret dans l'intervalle de dix jours. D'autres dispositions de
ce projet faisaient un devoir à toutes les autorités de redoubler d'activité
et de zèle. La convention applaudit à la proposition comme elle faisait
toujours, et la vota par acclamation. Collot-d'Herbois, le rapporteur du
décret aux jacobins, ajouta ses figures à celles de Saint-Just. «Il faut,
dit-il, faire éprouver au corps politique la sueur immonde de
l'aristocratie; plus il aura transpiré, mieux il se portera.»
On vient de voir ce que fit le comité pour manifester l'énergie de sa
politique; voici ce qu'il ajouta pour la concentration toujours plus
grande du pouvoir. D'abord il prononça le licenciement de l'armée
révolutionnaire. Cette armée, imaginée par Danton, avait d'abord été
utile pour faire exécuter les volontés de la convention, lorsqu'il existait
encore des restes de fédéralisme; mais étant devenue le centre de
ralliement de tous les perturbateurs et de tous les aventuriers, ayant
servi de point d'appui aux derniers démagogues, il était nécessaire de la
disperser. Le gouvernement d'ailleurs, étant aveuglément obéi, n'avait
plus besoin de ces satellites pour faire exécuter ses ordres. En
conséquence elle fut licenciée par décret. Le comité proposa ensuite
l'abolition des Différens[1] ministères. Des ministres étaient des
puissances qui avaient encore trop d'importance, à côté des membres du
comité de salut public. Ou ils laissaient tout faire au comité, et alors ils
étaient inutiles; ou bien ils voulaient agir, et alors ils étaient des
concurrens[1] importuns. L'exemple de Bouchotte, qui, dirigé par
Vincent, avait suscité tant d'embarras au comité, était un exemple assez
instructif. En conséquence les ministères furent abolis. A leur place, on
institua les douze commissions suivantes:
1. Commission des administrations civiles, police et tribunaux;

2. Commission de l'instruction publique;
3. Commission de l'agriculture et des arts;
4. Commission du commerce et des approvisionnemens[1];
5. Commission des travaux publics;
6. Commission des secours publics;
7. Commission des transports, postes et messageries;
8. Commission des finances;
9. Commission de l'organisation et du mouvement des armées de terre;
10. Commission de la marine et des colonies;
11. Commission des armes, poudres et exploitations des mines;
12. Commission des relations extérieures.
Ces commissions, dépendantes du comité de salut public, n'étaient
autre chose que les douze bureaux entre lesquels on avait partagé le
matériel de l'administration. Hermann, qui présidait le tribunal
révolutionnaire pendant le procès de Danton, fut récompensé de son
zèle par la qualité de chef de l'une de ces commissions. On lui donna la
plus importante, celle _des administrations civiles, police et tribunaux_.
D'autres mesures furent prises pour augmenter encore la centralisation
du pouvoir. D'après l'institution des comités révolutionnaires, il devait
y en avoir un par chaque commune ou section de commune. Les
communes rurales étant très-nombreuses et peu populeuses, le nombre
des comités était trop grand, et leurs fonctions presque nulles. Leur
composition d'ailleurs présentait un grand inconvénient. Les paysans
étant fort révolutionnaires pour la plupart, mais illettrés, les fonctions
municipales étaient en général échues aux propriétaires retirés dans
leurs terres, et fort peu disposés à exercer leur pouvoir dans le sens du
gouvernement; de cette manière, la surveillance des campagnes, et
surtout des châteaux, se faisait fort mal. Pour remédier à ce fâcheux état
des choses, on supprima les comités révolutionnaires des communes, et
on ne maintint que ceux de district. Par ce moyen, la police en se
concentrant devint plus active, et passa dans les mains des bourgeois
des districts, presque tous fort jacobins, et fort jaloux de l'ancienne
noblesse.
Les jacobins étaient la société principale, et la seule avouée par le
gouvernement. Elle en avait constamment suivi les principes et les
intérêts, et s'était comme lui prononcée également contre les hébertistes
et les dantonistes. Le comité de salut public aurait voulu qu'elle

absorbât presque toutes les autres dans son sein, et qu'elle concentrât en
elle-même toute la puissance de l'opinion, comme il avait concentré en
lui toute la puissance du gouvernement. Ce voeu flattait singulièrement
l'ambition
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