Histoire de Paris depuis le temps des Gaulois jusquà nos jours - II | Page 6

Théophile Lavallée
abominable où nos pères se sont entassés
pendant des siècles, et dans laquelle on ne comptait pas moins de
cinquante-deux rues, six impasses, trois places, dix paroisses, vingt et
une églises ou chapelles, deux couvents, outre l'Hôtel-Dieu, les
Enfants-Trouvés, le Palais avec ses dépendances, l'Archevêché, le
cloître Notre-Dame et la cathédrale. Aujourd'hui, on a fait pénétrer du

jour et de l'air dans ce triste quartier, où de tels déblaiements ont été
opérés, qu'il n'y restera bientôt plus que dix à douze rues, avec
Notre-Dame, l'Hôtel-Dieu et le Palais de Justice.
Mais, quelque embellie ou défigurée que soit la Cité, il y reste (p.014)
assez de débris du passé pour qu'on se sente pris d'un trouble
indéfinissable à l'aspect de ce sol exhaussé à force de poussière
humaine et de ruines de tout genre, de ces rues sales, tortueuses, où
jamais ne pénètre un rayon de soleil, où quatre hommes ne sauraient
passer de front, de ces maisons qui suintent le froid et l'humidité, avec
leurs auvents en saillie, leurs portes basses, leurs escaliers de bois
vermoulu, de ces logis noirs, fétides, misérables, qui ont pourtant
hébergé des magistrats, des prélats, de grandes dames, où tant de
générations se sont écoulées comme les flots de la Seine, aussi rapides,
aussi fugitives, sans laisser plus de traces. Alors la pensée se plonge
avec tristesse dans les ténèbres du passé; elle interroge ce pavé, ces
murs, ces édifices, qui ont vu tant d'événements, où tant de passions
s'agitèrent; elle ressuscite cette population si profondément ignorante et
misérable, mais qui n'avait conscience ni de son ignorance ni de sa
misère, qui vivait calme et résignée à l'ombre de la vieille Notre-Dame,
respirant tranquillement, joyeusement même, cet air méphitique, qui
semblait alors imprégné de foi et de dévotion.
Nous allons commencer la description de la Cité par celle de ses quais;
nous la continuerons par ses quatre rues transversales, d'Arcole, de la
Cité, de la Barillerie, de Harlay, avec les rues qui y aboutissent et les
monuments qui s'y trouvent.

§ Ier.
Quais de la Cité.
Quai Napoléon.--Il date de 1802. Auparavant, la Seine était bordée de
ce côté par les jardins du chapitre Notre-Dame, par le petit port Saint
Landry, enfin par de hautes maisons appartenant à la rue
Basse-des-Ursins et qui plongeaient leur pied dans la rivière. (p.015) La

plus remarquable de ces maisons était l'hôtel des Ursins, qui avait été
bâti par le vertueux Juvénal des Ursins; il était terminé du côté de la
Seine par deux grosses tourelles surmontées chacune d'une terrasse et
réunies par une arcade à balcon, d'où l'on jouissait d'une vue
magnifique. Cet hôtel fut détruit en 1553, et sur son emplacement l'on
ouvrit la rue Haute-des-Ursins.
On remarque aujourd'hui sur le quai Napoléon une jolie maison bâtie
récemment et qui est ornée des médaillons d'Héloïse et d'Abailard; elle
a été construite sur l'emplacement de la maison du chanoine Fulbert,
oncle d'Héloïse, laquelle était située rue du Chantre, nº1 [4]. On
montrait dans celle-ci un petit escalier et un cabinet tombant en ruines
et qu'on croyait dater du temps des amants du XIIe siècle, dont
l'histoire est encore aujourd'hui si fraîche dans les souvenirs populaires.
Paris n'a pourtant pas rendu à la mémoire d'Héloïse, de cette femme si
complète par le coeur et par l'esprit, qui ouvre la série des illustres
Parisiennes, de cette ancêtre, de cette parente de madame de Sévigné et
de madame Roland, tous les honneurs qu'elle méritait; et l'on s'étonne
que, dans la foule des statues élevées aux célébrités de la capitale, l'on
ait oublié celle de cette glorieuse fille, de cette autre patronne de Paris,
la première de son temps par son intelligence et son savoir, par son
éloquence et ses malheurs.
[Note 4: Voyez Hist. gén. de Paris, p. 11.]
Quai Desaix.--Il date de 1800. Auparavant, c'était le derrière des
maisons de la rue de la Pelleterie qui bordait la rivière. Ce quai étant
très-large, la partie méridionale est occupée par un marché aux fleurs,
planté d'arbres, orné de fontaines, qui a été ouvert en 1808.
Quai de l'Horloge.--Il a été commencé en 1560 et achevé en 1611. Il
doit son nom à une tour construite en 1370 et où fut placée, par les
ordres de Charles V, une horloge publique, qui avait été faite (p.016)
par un Allemand, Henri de Vic. La lanterne contenait une cloche qui ne
sonnait que pour les cérémonies royales et qui donna le signal de la
Saint-Barthélémy. Elle fut restaurée sous Henri III et ornée de
sculptures de Jean Goujon. On vient de la reconstruire à grands frais,
d'y placer une horloge imitée de celle de Henri de Vic et l'on en a fait

une sorte de donjon fortifié, d'où l'on explore les deux rives de la Seine.
Le quai de l'Horloge est principalement habité par des opticiens.
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