le laisse s'emparer de l'empire d'Occident.
C'est sur-tout le système continental qu'il veut étendre; il faut qu'il en
environne l'Europe, et la coopération de la Russie va compléter son
développement. Alexandre promettra de fermer le nord aux Anglais, il
forcera la Suède à rompre avec ces insulaires; en même temps, les
Français les repousseront du centre, du midi et de l'ouest de l'Europe.
Déjà même Napoléon médite l'expédition du Portugal, si ce royaume
n'entre pas dans sa coalition. La Turquie n'est donc plus qu'un
accessoire dans ses projets, et il consent à l'armistice et à l'entrevue de
Tilsitt.
Cependant une députation de Wilna vient lui demander la liberté, et lui
offrir le même dévouement qu'a montré Varsovie; mais Berthier,
satisfait dans son ambition, et las de la guerre, repousse ces envoyés,
qu'il appelle des traîtres à leur souverain. Le prince d'Eckmühl les
accueille, il les présente à Napoléon, qui s'irrite contre Berthier, et
reçoit avec bonté ces Lithuaniens, sans toutefois leur promettre son
appui. Davoust représenta vainement que l'occasion était favorable,
l'armée russe étant détruite; mais Napoléon répondit «que la Suède
venait de lui dénoncer son armistice; que l'Autriche offrait sa médiation
entre la France et la Russie, démarche qu'il jugeait hostile; que les
Prussiens, en le voyant s'éloigner autant de la France, pourraient revenir
de leur étonnement; qu'enfin Sélim, son allié fidèle, venait d'être
détrôné, et que Mustapha IV, dont il ignorait les dispositions, l'avait
remplacé.»
L'empereur de France continua donc à traiter avec la Russie, et
l'ambassadeur turc, dédaigné, oublié, erre dans nos camps, sans être
appelé aux négociations qui vont terminer la guerre: bientôt il retourne
à Constantinople y porter son mécontentement. Ce ne fut ni la Crimée,
ni même la Moldavie et la Valachie, que le traité de Tilsitt rendit à cette
cour barbare; il y fut seulement stipulé la restitution de ces deux
dernières provinces par un armistice dont les conditions ne devaient pas
être exécutées. Cependant, comme Napoléon s'était dit médiateur entre
Mustapha et Alexandre, les ministres des deux puissances s'étaient
rendus à Paris. Mais là, pendant la longue durée de cette feinte
médiation, il ne daigna pas recevoir les plénipotentiaires turcs.
Si même on doit tout dire, dans l'entrevue de Tilsitt et depuis, on assure
qu'il fut question d'un traité de partage de la Turquie. On proposait à la
Russie de s'emparer de la Valachie, de la Moldavie, de la Bulgarie et
d'une partie du mont Hémus. L'Autriche aurait eu la Servie et une partie
de la Bosnie; la France, l'autre partie de cette province, l'Albanie, la
Macédoine, et toute la Grèce jusqu'à Thessalonique: Constantinople,
Andrinople et la Thrace devaient rester turques.
On ignore si les pourparlers sur ce partage furent une proposition
sérieuse, ou seulement la communication d'une grande pensée: ce qui
est sûr, c'est que, bientôt après l'entrevue de Tilsitt, Alexandre ne se
trouva plus disposé à tant d'ambition. De prudentes suggestions lui
avaient fait envisager le danger de substituer, à l'ignorante, aveugle et
faible Turquie, un voisin actif, puissant et incommode; aussi, dans ses
conversations sur ce sujet, l'empereur russe répondit-il alors: «qu'il
avait assez de terres désertes; qu'il savait trop, par l'occupation de la
Crimée, encore dépeuplée, ce que valaient ces conquêtes sur des
religions et des moeurs étrangères et ennemies, que de plus, la Russie et
la France étaient trop fortes pour devenir si voisines; que deux corps si
puissants, en contact immédiat, se froisseraient; qu'il valait mieux
laisser entre eux des intermédiaires.»
De son côté l'empereur des Français n'insistait plus; l'insurrection
espagnole détournait son attention et l'appelait impérieusement avec
toutes ses forces. Déjà même, avant l'entrevue d'Erfurt, quand
Sébastiani était revenu de Constantinople, quoique Napoléon parût
tenir encore à ce dépècement de la Turquie d'Europe, il avait cédé à ce
raisonnement de son ambassadeur: «que, dans ce partage, tout serait
contre lui; que la Russie et l'Autriche acquerraient des provinces
contiguës qui compléteraient leur ensemble, tandis qu'il nous faudrait
sans cesse quatre-vingt mille Français en Grèce pour la contenir; qu'une
telle armée, vu son éloignement et ses pertes, suites des longues
marches, de la nouveauté, de l'insalubrité du climat, exigerait
annuellement trente mille recrues, ce qui épuiserait la France; qu'une
ligne d'opérations de Paris à Athènes était démesurée; que, d'ailleurs,
elle était étranglée à son passage à Trieste; que, sur ce point, deux
marches suffiraient aux Autrichiens pour se mettre en travers, et couper
l'armée d'observation en Grèce de toutes ses communications avec
l'Italie et la France.»
Ici Napoléon s'était écrié: «qu'en effet l'Autriche compliquait tout,
qu'elle était là comme un embarras; qu'il en fallait finir, et partager
l'Europe en deux empires; que le Danube, depuis la mer Noire jusqu'à
Passau, les montagnes de Bohème jusqu'à Koenigsgratz, et l'Elbe
jusqu'à la Baltique, seraient leur démarcation. Alexandre deviendrait
l'empereur du nord, et lui celui du midi de l'Europe.» Alors, descendant
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