Voyez à Notre-Dame de Paris, et sur tant d'autres églises, la triste
représentation du pauvre homme qui donne son âme pour de l'or, qui
s'inféode au Diable, s'agenouille devant la Bête, et baise la griffe
velue...
Le Diable, persécuté avec les Manichéens et les Albigeois, chassé,
comme eux, des villes, vivait alors au désert. Il cabalait sur la prairie
avec les sorcières de Macbeth. La sorcellerie, débris des vieilles
religions vaincues, avait pourtant cela d'être un appel, non pas
seulement à la nature, comme l'alchimie, mais déjà à la volonté, à la
volonté mauvaise, au Diable, il est vrai. C'était un mauvais
industrialisme, qui, ne pouvant tirer de la volonté les trésors que
contient son alliance avec la nature, essayait de gagner, par la violence
et le crime, ce que le travail, la patience, l'intelligence, peuvent seuls
donner.
Au moyen âge, celui qui sait où est l'or, le véritable alchimiste, le vrai
sorcier, c'est le juif; ou le demi-juif, le Lombard[8]. Le juif, l'homme
immonde, l'homme qui ne peut toucher ni denrée ni femme qu'on ne la
brûle, l'homme d'outrage, sur lequel tout le monde crache[9], c'est à lui
qu'il faut s'adresser.
[Note 8: Dans l'usure, les juifs, dit-on, ne faisaient qu'imiter les
Lombards, leurs prédécesseurs. (Muratori.)]
[Note 9: À Toulouse, on les souffletait trois fois par an, pour les punir
d'avoir autrefois livré la ville aux Sarrasins; sous Charles le Chauve, ils
réclamèrent inutilement.--À Béziers, on les chassait à coups de pierres
pendant toute la Semaine sainte. Ils s'en rachetèrent en 1160.--Ils
commencèrent sous le règne de Philippe Auguste à porter la rouelle
jaune, et le concile de Latran en fit une loi à tous les Juifs de la
chrétienté (canon 68).]
Prolifique nation, qui par-dessus toutes les autres eut la force
multipliante, la force qui engendre, qui féconde à volonté les brebis de
Jacob ou les sequins de Shylock. Pendant tout le moyen âge, persécutés,
chassés, rappelés, ils ont fait l'indispensable intermédiaire entre le fisc
et la victime du fisc, entre l'agent et le patient, pompant l'or d'en bas, en
le rendant au roi par en haut avec laide grimace[10]... Mais il leur en
restait toujours quelque chose... Patients, indestructibles, ils ont vaincu
par la durée[11]. Ils ont résolu le problème de volatiliser la richesse;
affranchis par la lettre de change, ils sont maintenant libres, ils sont
maîtres; de soufflets en soufflets, les voilà au trône du monde[12].
[Note 10: Souvent ils firent l'objet de traités entre les seigneurs. Dans
l'ordonnance de 1230, il est dit: «que personne dans notre royaume ne
retienne le juif d'un autre seigneur; partout où quelqu'un retrouvera son
juif, il pourra le reprendre comme son esclave (tanquam proprium
servum), quelque long séjour qu'il ait fait sur les terres d'un autre
seigneur.» On voit en effet dans les Établissements que les meubles des
juifs appartenaient aux barons. Peu à peu le juif passa au roi, comme la
monnaie et les autres droits fiscaux.]
[Note 11: Patiens, quia æternus...--C'est l'usage que les juifs se tiennent
sur le passage de chaque nouveau pape, et lui présentent leur loi. Est-ce
un hommage ou un reproche de la vieille loi à la nouvelle, de la mère à
la fille?...--«Le jour de son couronnement, le pape Jean XXIII
chevaucha avec sa mitre papale de rue en rue dans la ville de Boulogne
la Grasse, faisant le signe de la croix jusques en la rue où demeuraient
les Juifs, lesquels offrirent par écrit leur loi, laquelle de sa propre main
il prit et reçut, et puis la regarda, et tantôt la jeta derrière lui, en disant:
«Votre loi est bonne, mais d'icelle la nôtre est meilleure.» Et lui parti de
là, les juifs le suivoient le cuidant atteindre, et fut toute la couverture de
son cheval déchirée; et le pape jetoit, par toutes les rues où il passoit,
monnoie, c'est à savoir deniers qu'on appelle quatrins et mailles de
Florence; et y avoit devant lui et derrière lui deux cents hommes
d'armes, et avoit chacun en sa main une masse de cuir dont ils
frappoient les juifs, tellement que c'étoit grand'joie à voir.» Monstrelet.]
[Note 12: Je lisais le ... octobre 1834, dans un journal anglais:
«Aujourd'hui, peu d'affaires à la bourse; c'est jour férié pour les
juifs.»--Mais ils n'ont pas seulement la supériorité de richesses. On
serait tenté de leur en accorder une autre lorsqu'on voit que la plupart
des hommes qui font aujourd'hui le plus d'honneur à l'Allemagne sont
des juifs (1837).--J'ai parlé dans les notes de la Renaissance de tant de
Juifs illustres, nos contemporains (1860).]
Pour que le pauvre homme s'adresse au juif, pour qu'il approche de
cette sombre petite maison, si mal famée, pour qu'il parle à cet homme
qui, dit-on, crucifie les petits enfants, il ne faut pas moins que l'horrible
pression du fisc. Entre le
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