dirigeait lentement vers l'odieuse maison, et il y restait longtemps à la porte avant de frapper. Le juif ayant ouvert avec précaution la petite grille, un dialogue s'engageait, étrange et difficile. Que disait le chrétien? ?Au nom de Dieu!--Le juif l'a tué, ton Dieu!--Par pitié!--Quel chrétien a jamais eu pitié du juif? Ce ne sont pas des mots qu'il faut. Il faut un gage.--Que peut donner celui qui n'a rien? Le juif lui dira doucement: Mon ami, conformément aux ordonnances du Roi, notre Sire, je ne prête ni sur habit sanglant, ni sur fer de charrue... Non, pour gage, je ne veux que vous-même. Je ne suis pas des v?tres, mon droit n'est pas le droit chrétien. C'est un droit plus antique (in partes secanto). Votre chair répondra. Sang pour or, comme vie pour vie. Une livre de votre chair, que je vais nourrir de mon argent, une livre seulement de votre belle chair[13].? L'or que prête le meurtrier du Fils de l'Homme, ne peut être qu'un or meurtrier, antidivin, ou, comme on disait dans ce temps-là Anti-Christ[14]. Voilà l'or Anti-Christ, comme Aristophane nous montrait tout à l'heure dans Plutus l'Anti-Jupiter.
[Note 13: Shakespeare, The Merchant of Venice, acte I, sc. III: ?Let the forfeit be nominated for an equal pound of your fair flesh, to be cut and taken, in what part of your body pleaseath me.?
Sir Thomas Mungo acquit à Calcutta, il y a trente ans, un ms. où se trouve l'histoire originale de la livre de chair, etc. Seulement, au lieu d'un chrétien, c'est un musulman que le juif veut dépecer. V. Asiatic Journal.--Orig. du droit, l. IV, c. XIII; L'atrocité de la loi des Douze Tables, déjà repoussée par les Romains eux-mêmes, ne pouvait, à plus forte raison, prévaloir chez les nations chrétiennes. Voyez cependant le droit norvégien. Grimm, 617.
Dans les traditions populaires, le juif stipule une livre de chair à couper sur le corps de son débiteur, mais le juge le prévient que s'il coupe plus ou moins, il sera lui-même mis à mort.--V. le Pecorone (écrit vers 1378), les Gesta Romanorum dans la forme allemande.--Voir aussi mon Histoire romaine.]
[Note 14: J'insiste avec M. Beugnot sur ce point important: les juifs ne connurent pas l'usure aux Xe et XIe siècles, c'est-à-dire aux époques où on leur permit l'industrie (1860).]
* * * * *
Cet Anti-Christ, cet antidieu, doit dépouiller Dieu, c'est-à-dire l'église; l'église séculière, les prêtres, le Pape; l'église régulière, les moines, les Templiers.
La mort scandaleusement prompte de Beno?t XI fit tomber l'église dans la main de Philippe le Bel; elle le mit à même de faire un pape, de tirer la papauté de Rome, de l'amener en France, pour, en cette ge?le, la faire travailler à son profit, lui dicter des bulles lucratives, exploiter l'infaillibilité, constituer le Saint-Esprit comme scribe et percepteur pour la maison de France.
Après la mort de Beno?t, les cardinaux s'étaient enfermés en conclave à Pérouse. Mais les deux partis, le fran?ais et l'antifran?ais, se balan?aient si bien qu'il n'y avait pas moyen d'en finir. Les gens de la ville, dans leur impatience, dans leur furie italienne de voir un pape fait à Pérouse, n'y trouvèrent autre remède que d'affamer les cardinaux. Ceux-ci convinrent qu'un des deux partis désignerait trois candidats, et que l'autre parti choisirait. Ce fut au parti fran?ais à choisir, et il désigna un Gascon, Bertrand de Gott, archevêque de Bordeaux. Bertrand s'était montré jusque-là ennemi du roi, mais on savait qu'il était avant tout ami de son intérêt, et l'on espérait bien le convertir.
Philippe, instruit par ses cardinaux et muni de leurs lettres, donne rendez-vous au futur élu près de Saint-Jean-d'Angély, dans une forêt. Bertrand y court plein d'espérance. Villani parle de cette entrevue secrète, comme s'il y était. Il faut lire ce récit d'une maligne na?veté:
?Ils entendirent ensemble la messe, et se jurèrent le secret. Alors le roi commen?a à parlementer en belles paroles, pour le réconcilier avec Charles de Valois. Ensuite il lui dit: ?Vois, archevêque, j'ai en mon pouvoir de te faire pape, si je veux; c'est pour cela que je suis venu vers toi; car, si tu me promets de me faire six graces que je te demanderai, je t'assurerai cette dignité, et voici qui te prouvera que j'en ai le pouvoir.? Alors il lui montra les lettres et délégations de l'un et de l'autre collége. Le Gascon, plein de convoitise, voyant ainsi tout à coup qu'il dépendait entièrement du roi de le faire pape, se jeta, comme éperdu de joie, aux pieds de Philippe, et dit: ?Monseigneur, c'est à présent que je vois que tu m'aimes plus qu'homme qui vive, et que tu veux me rendre le bien pour le mal. Tu dois commander, moi obéir, et toujours j'y serai disposé.? Le roi le releva, le baisa à la bouche, et lui dit: ?Les
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