Histoire de France 1305-1364 | Page 3

Jules Michelet
avec les sorcières de Macbeth. La sorcellerie, débris des vieilles religions vaincues, avait pourtant cela d'être un appel, non pas seulement à la nature, comme l'alchimie, mais déjà à la volonté, à la volonté mauvaise, au Diable, il est vrai. C'était un mauvais industrialisme, qui, ne pouvant tirer de la volonté les trésors que contient son alliance avec la nature, essayait de gagner, par la violence et le crime, ce que le travail, la patience, l'intelligence, peuvent seuls donner.
Au moyen age, celui qui sait où est l'or, le véritable alchimiste, le vrai sorcier, c'est le juif; ou le demi-juif, le Lombard[8]. Le juif, l'homme immonde, l'homme qui ne peut toucher ni denrée ni femme qu'on ne la br?le, l'homme d'outrage, sur lequel tout le monde crache[9], c'est à lui qu'il faut s'adresser.
[Note 8: Dans l'usure, les juifs, dit-on, ne faisaient qu'imiter les Lombards, leurs prédécesseurs. (Muratori.)]
[Note 9: à Toulouse, on les souffletait trois fois par an, pour les punir d'avoir autrefois livré la ville aux Sarrasins; sous Charles le Chauve, ils réclamèrent inutilement.--à Béziers, on les chassait à coups de pierres pendant toute la Semaine sainte. Ils s'en rachetèrent en 1160.--Ils commencèrent sous le règne de Philippe Auguste à porter la rouelle jaune, et le concile de Latran en fit une loi à tous les Juifs de la chrétienté (canon 68).]
Prolifique nation, qui par-dessus toutes les autres eut la force multipliante, la force qui engendre, qui féconde à volonté les brebis de Jacob ou les sequins de Shylock. Pendant tout le moyen age, persécutés, chassés, rappelés, ils ont fait l'indispensable intermédiaire entre le fisc et la victime du fisc, entre l'agent et le patient, pompant l'or d'en bas, en le rendant au roi par en haut avec laide grimace[10]... Mais il leur en restait toujours quelque chose... Patients, indestructibles, ils ont vaincu par la durée[11]. Ils ont résolu le problème de volatiliser la richesse; affranchis par la lettre de change, ils sont maintenant libres, ils sont ma?tres; de soufflets en soufflets, les voilà au tr?ne du monde[12].
[Note 10: Souvent ils firent l'objet de traités entre les seigneurs. Dans l'ordonnance de 1230, il est dit: ?que personne dans notre royaume ne retienne le juif d'un autre seigneur; partout où quelqu'un retrouvera son juif, il pourra le reprendre comme son esclave (tanquam proprium servum), quelque long séjour qu'il ait fait sur les terres d'un autre seigneur.? On voit en effet dans les établissements que les meubles des juifs appartenaient aux barons. Peu à peu le juif passa au roi, comme la monnaie et les autres droits fiscaux.]
[Note 11: Patiens, quia ?ternus...--C'est l'usage que les juifs se tiennent sur le passage de chaque nouveau pape, et lui présentent leur loi. Est-ce un hommage ou un reproche de la vieille loi à la nouvelle, de la mère à la fille?...--?Le jour de son couronnement, le pape Jean XXIII chevaucha avec sa mitre papale de rue en rue dans la ville de Boulogne la Grasse, faisant le signe de la croix jusques en la rue où demeuraient les Juifs, lesquels offrirent par écrit leur loi, laquelle de sa propre main il prit et re?ut, et puis la regarda, et tant?t la jeta derrière lui, en disant: ?Votre loi est bonne, mais d'icelle la n?tre est meilleure.? Et lui parti de là, les juifs le suivoient le cuidant atteindre, et fut toute la couverture de son cheval déchirée; et le pape jetoit, par toutes les rues où il passoit, monnoie, c'est à savoir deniers qu'on appelle quatrins et mailles de Florence; et y avoit devant lui et derrière lui deux cents hommes d'armes, et avoit chacun en sa main une masse de cuir dont ils frappoient les juifs, tellement que c'étoit grand'joie à voir.? Monstrelet.]
[Note 12: Je lisais le ... octobre 1834, dans un journal anglais: ?Aujourd'hui, peu d'affaires à la bourse; c'est jour férié pour les juifs.?--Mais ils n'ont pas seulement la supériorité de richesses. On serait tenté de leur en accorder une autre lorsqu'on voit que la plupart des hommes qui font aujourd'hui le plus d'honneur à l'Allemagne sont des juifs (1837).--J'ai parlé dans les notes de la Renaissance de tant de Juifs illustres, nos contemporains (1860).]
Pour que le pauvre homme s'adresse au juif, pour qu'il approche de cette sombre petite maison, si mal famée, pour qu'il parle à cet homme qui, dit-on, crucifie les petits enfants, il ne faut pas moins que l'horrible pression du fisc. Entre le fisc qui veut sa moelle et son sang, et le Diable qui veut son ame, il prendra le juif pour milieu.
Quand donc il avait épuisé sa dernière ressource, quand son lit était vendu, quand sa femme et ses enfants, couchés à terre, tremblaient de fièvre ou criaient du pain, alors, tête basse et plus courbé que s'il e?t porté sa charge de bois, il se
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