six graces spéciales que je te demande sont les suivantes: La première, que tu me réconcilies parfaitement avec l'église, et me fasses pardonner le méfait que j'ai commis en arrêtant le pape Boniface; la seconde, que tu rendes la communion à moi et à tous les miens; la troisième, que tu m'accordes les décimes du clergé dans mon royaume pour cinq ans, afin d'aider aux dépenses faites en la guerre de Flandre; la quatrième, que tu détruises et annules la mémoire du pape Boniface; la cinquième, que tu rendes la dignité de cardinal à messer Jacobo et messer Piero de la Colonne, que tu les remettes en leur état, et qu'avec eux tu fasses cardinaux certains miens amis. Pour la sixième grace et promesse, je me réserve d'en parler en temps et lieu: car c'est chose grande et secrète.? L'archevêque promit tout par serment sur le Corpus Domini, et de plus il donna pour otages son frère et deux de ses neveux. Le roi, de son c?té, promit et jura qu'il le ferait élire pape[15].?
[Note 15: G. Villani, l. VIII, c. LXXX, p. 417.--L'opinion du temps est bien représentée dans les vers burlesques cités par Walsingham:
Ecclesi? navis titubat, regni quia clavis Errat, Rex, Papa, facti sunt una cappa. Hoc faciunt do, des, Pilatus hic, alter Herodes.
Walsingh., p. 456, ann. 1306.]
Le pape de Philippe le Bel, avouant hautement sa dépendance, déclara qu'il voulait être couronné à Lyon (14 nov. 1305). Ce couronnement, qui commen?ait la captivité de l'église, f?t dignement solennisé. Au moment où le cortége passait, un mur chargé de spectateurs s'écroule, blesse le roi et tue le duc de Bretagne. Le pape fut renversé, la tiare tomba. Huit jours après, dans un banquet du pape, ses gens et ceux des cardinaux prennent querelle, un frère du pape est tué.
Cependant la honte du marché devenait publique. Clément payait comptant. Il donnait en payement ce qui n'était pas à lui, en exigeant des décimes du clergé: décimes au roi de France, décimes au comte de Flandre pour qu'il s'acquitte envers le roi, décimes à Charles de Valois pour une croisade contre l'empire grec. Le motif de la croisade était étrange; ce pauvre empire, au dire du pape, était faible, et ne rassurait pas assez la chrétienté contre les infidèles.
Clément, ayant payé, croyait être quitte et n'avoir plus qu'à jouir en acquéreur et propriétaire, à user et abuser. Comme un baron faisait chevauchée autour de sa terre pour exercer son droit de g?te et de pourvoirie, Clément se mit à voyager à travers l'église de France. De Lyon, il s'achemina vers Bordeaux, mais par Macon, Bourges et Limoges, afin de ravager plus de pays. Il allait, prenant et dévorant, d'évêché en évêché, avec une armée de familiers et de serviteurs. Partout où s'abattait cette nuée de sauterelles, la place restait nette. Ancien archevêque de Bordeaux, le rancuneux pontife ?ta à Bourges sa primatie sur la capitale de la Guyenne. Il s'établit chez son ennemi, l'archevêque de Bourges, comme un garnisaire ou mangeur d'office[16], et il s'y hébergea de telle sorte, qu'il le laissa ruiné de fond en comble; ce primat des Acquitaines serait mort de faim, s'il n'était venu à la cathédrale, parmi ses chanoines, recevoir aux distributions ecclésiastiques la portion congrue[17].
[Note 16: Ces mots sont synonymes dans la langue de ce temps.]
[Note 17: Contin. G. de Nangis.]
Dans les vols de Clément, le meilleur était pour une femme qui ran?onnait le pape, comme lui l'église. C'était la véritable Jérusalem où allait l'argent de la croisade. La belle Brunissen de Talleyrand de Périgord lui co?tait, dit-on, plus que la Terre sainte.
Clément allait être bient?t cruellement troublé dans cette douce jouissance des biens de l'église. Les décimes en perspective ne répondaient pas aux besoins actuels du fisc royal. Le pape gagna du temps en lui donnant les juifs, en autorisant le roi à les saisir. L'opération se fit en un même jour avec un secret et une promptitude qui font honneur aux gens du roi. Pas un juif, dit-on, n'échappa. Non content de vendre leurs biens, le roi se chargea de poursuivre leurs débiteurs, déclarant que leurs écritures suffisaient pour titres de créances, que l'écrit d'un juif faisait foi pour lui.
Le juif ne rendant pas assez, il retomba sur le chrétien. Il altéra encore les monnaies, augmentant le titre et diminuant le poids; avec deux livres il en payait huit. Mais quand il s'agissait de recevoir, il ne voulait de sa monnaie que pour un tiers; deux banqueroutes en sens inverse. Tous les débiteurs profitèrent de l'occasion. Ces monnaies de diverse valeur sous même titre faisaient na?tre des querelles sans nombre. On ne s'entendait pas: c'était une Babel. La seule chose à quoi le peuple s'accorda (voilà donc qu'il y a un peuple), ce fut à se révolter. Le roi s'était sauvé au Temple.
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