crée un besoin subit, infini de l'argent et de l'or.
Sous Philippe le Bel, le fisc, ce monstre, ce géant, na?t altéré, affamé, endenté. Il crie en naissant, comme le Gargantua de Rabelais: à manger, à boire! L'enfant terrible, dont on ne peut so?ler la faim atroce, mangera au besoin de la chair et boira du sang. C'est le cyclope, l'ogre, la gargouille dévorante de la Seine. La tête du monstre s'appelle grand conseil, ses longues griffes sont au Parlement, l'organe digestif est la chambre des comptes. Le seul aliment qui puisse l'apaiser, c'est celui que le peuple ne peut lui trouver. Fisc et peuple n'ont qu'un cri, c'est l'or.
Voyez, dans Aristophane, comment l'aveugle et inerte Plutus est tiraillé par ses adorateurs. Ils lui prouvent sans peine qu'il est le Dieu des Dieux. Et tous les Dieux lui cèdent. Jupiter avoue qu'il meurt de faim sans lui[4], Mercure quitte son métier de Dieu, se met au service de Plutus, tourne la broche et lave la vaisselle.
[Note 4: [Grec: Aph' hou gar ho Ploutos houtos êrxato blepein, Apol?l' hupo limou...] Aristoph., Plut., v. 1174. Voyez aussi les vers 129, 133, 1152 et 1168-9.]
Cette intronisation de l'or à la place de Dieu se renouvelle au XIVe siècle. La difficulté est de tirer cet or paresseux des réduits obscurs où il dort. Ce serait une curieuse histoire que celle du thesaurus, depuis le temps où il se tenait tapi sous le dragon de Colchos, des Hespérides ou des Nibelungen, depuis son sommeil au temple de Delphes, au palais de Persépolis. Alexandre, Carthage, Rome, l'éveillent et le secouent[5]. Au moyen age, il est déjà rendormi dans les églises, où, pour mieux reposer, il prend forme sacrée, croix, chapes, reliquaires. Qui sera assez hardi pour le tirer de là, assez clairvoyant pour l'apercevoir dans la terre où il aime à s'enfouir? Quel magicien évoquera, profanera cette chose sacrée qui vaut toutes choses, cette toute-puissance aveugle que donne la nature?
[Note 5: Chacune des grandes révolutions du monde est aussi l'époque des grandes apparitions de l'or. Les Phocéens le font sortir de Delphes, Alexandre de Persépolis; Rome le tire des mains du dernier successeur d'Alexandre; Cortès l'enlève de l'Amérique. Chacun de ces moments est marqué par un changement subit, non-seulement dans les prix des denrées, mais aussi dans les idées et dans les moeurs.]
Le moyen age ne pouvait atteindre sit?t cette grande idée moderne: l'homme sait créer la richesse; il change une vile matière en objet précieux, lui donnant la richesse qu'il a en lui, celle de la forme, de l'art, celle d'une volonté intelligente. Il chercha d'abord la richesse moins dans la forme que dans la matière. Il s'acharna sur cette matière, tourmenta la nature d'un amour furieux, lui demanda ce qu'on demande à ce qu'on aime, la vie même, l'immortalité[6]. Mais, malgré les merveilleuses fortunes des Lulle, des Flamel, l'or tant de fois trouvé n'apparaissait que pour fuir, laissant le souffleur hors d'haleine; il fuyait, fondait impitoyablement, et avec lui la substance de l'homme, son ame, sa vie, mise au fond du creuset[7].
[Note 6: Le dernier but de l'alchimie n'était pas tant de trouver l'or que d'obtenir l'or pur, l'or potable, le breuvage d'immortalité. On racontait la merveilleuse histoire d'un bouvier de Sicile du temps du roi Guillaume, qui, ayant trouvé dans la terre un flacon d'or, but la liqueur qu'il renfermait et revint à la jeunesse. (Roger Bacon, Opus majus.)]
[Note 7: Quelques-uns se vantèrent de n'avoir point soufflé pour rien. Raymond Lulle, dans leurs traditions, passe en Angleterre, et, pour encourager le roi à la croisade, lui fabrique dans la Tour de Londres pour six millions d'or. On en fit des Nobles à la rose, qu'on appelle encore aujourd'hui Nobles de Raymond.
Il est dit dans l'Ultimum Testamentum, mis sous son nom, qu'en une fois il convertit en or cinquante milliers pesant de mercure, de plomb et d'étain.--Le pape Jean XXII, à qui Pagi attribue un traité sur l'Art transmutatoire, y disait qu'il avait transmuté à Avignon deux cents lingots pesant chacun un quintal, c'est-à-dire vingt mille livres d'or. était-ce une manière de rendre compte des énormes richesses entassées dans ses caves?--Au reste, ils étaient forcés de convenir entre eux que cet or qu'ils obtenaient par quintaux n'avait de l'or que la couleur.]
Alors l'infortuné, cessant d'espérer dans le pouvoir humain, se reniait lui-même, abdiquait tout bien, ame et Dieu. Il appelait le mal, le Diable. Roi des ab?mes souterrains, le Diable était sans doute le monarque de l'or. Voyez à Notre-Dame de Paris, et sur tant d'autres églises, la triste représentation du pauvre homme qui donne son ame pour de l'or, qui s'inféode au Diable, s'agenouille devant la Bête, et baise la griffe velue...
Le Diable, persécuté avec les Manichéens et les Albigeois, chassé, comme eux, des villes, vivait alors au désert. Il cabalait sur la prairie
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