Histoire comique | Page 7

Anatole France
Chevalier, pourquoi n'��tes-vous pas rest�� jusqu'�� la fin? Ma fille aurait ��t�� bien contente si vous ��tiez rest��. Quand on joue, on aime �� avoir des amis dans la salle.
Chevalier r��pondit d'une fa?on ambigu?:
--Oh! les amis, ce n'est pas ce qui manque.
--Vous vous trompez, monsieur Chevalier; les bons amis sont rares. Madame Doulce ��tait l��, sans doute? A-t-elle ��t�� contente de F��licie?
Et elle ajouta tr��s humblement:
--Je serais vraiment heureuse qu'elle e?t du succ��s. Il est si difficile de percer dans son ��tat, quand on est seule, sans appui, sans protections! Et elle a bien besoin de r��ussir, la pauvre petite!
Chevalier n'avait pas le coeur �� s'apitoyer sur F��licie. Il dit brusquement, en haussant les ��paules:
--Ah! ne vous inqui��tez donc pas. Elle r��ussira. Elle est com��dienne dans l'ame. Elle a le th��atre dans le corps. Elle l'a dans les jambes.
Madame Nanteuil sourit paisiblement:
--La pauvre enfant! Elles ne sont pas bien grosses, ses jambes. F��licie n'a pas une mauvaise sant��. Mais il ne faut pas qu'elle se fatigue. Elle a souvent des vertiges, des migraines.
La bonne vint mettre sur la table un plat de charcuterie, une bouteille et des assiettes.
Cependant Chevalier cherchait dans son esprit le moyen d'amener �� propos une question qu'il avait sur les l��vres depuis le bas de l'escalier. Il voulait savoir si F��licie fr��quentait encore Girmandel, dont il n'entendait plus parler. Nous formons des souhaits proportionn��s �� notre ��tat. Maintenant, dans la mis��re de son existence, dans la d��tresse de son coeur, il d��sirait ardemment que F��licie, qui ne l'aimait plus, aimat Girmandel qu'elle aimait peu, et toute son esp��rance ��tait que Girmandel la gardat pour lui, la pr?t toute et ne laissat rien d'elle �� Robert de Ligny. L'id��e que la jeune fille ��tait avec Girmandel soulageait sa jalousie, et il tremblait d'apprendre qu'elle avait quitt�� l'huissier.
Certes, il ne se serait jamais permis d'interroger une m��re sur les amants de sa fille. Mais on pouvait parler de Girmandel �� madame Nanteuil, qui ne voyait rien que d'honorable dans ses relations de famille avec l'officier minist��riel, homme riche, mari�� et p��re de deux filles charmantes. Il fallait seulement, pour amener le nom de l'huissier dans la conversation, user d'un artifice. Chevalier en trouva un qui lui parut ing��nieux.
--A propos, dit-il, j'ai rencontr�� Girmandel en voiture.
Madame Nanteuil ne fit point de r��ponse.
--Il passait en fiacre sur le boulevard Saint-Michel. J'ai bien cru le reconna?tre. Je serais surpris si ce n'��tait pas lui.
Madame Nanteuil ne fit point de r��ponse.
--Sa barbe blonde, son visage rouge... Il est tr��s reconnaissable, Girmandel.
Madame Nanteuil ne fit point de r��ponse.
--Vous ��tiez tr��s li��es avec lui, dans le temps, vous et F��licie. Est-ce que vous le voyez toujours?
Madame Nanteuil r��pondit mollement:
--Monsieur Girmandel? mais oui, nous le voyons toujours...
A cette parole, Chevalier ressentit presque de la joie. Mais elle l'avait tromp��; elle n'avait pas dit la v��rit��. Elle avait menti par amour-propre et pour ne pas r��v��ler un secret domestique, qu'elle ne jugeait point �� l'honneur de sa maison. Ce qui ��tait vrai, c'est que, dans l'emportement de son amour pour Ligny, F��licie avait plaqu�� Girmandel, et l'huissier, qui pourtant ��tait homme du monde, avait cess�� net d'��clairer. Madame Nanteuil, �� son age, avait repris un amant par amour maternel et pour que sa fille ne f?t pas dans le besoin. Elle avait renou�� sa vieille liaison avec Tony Meyer, le marchand de tableaux de la rue de Clichy. Tony Meyer ne rempla?ait pas avantageusement Girmandel: il donnait peu d'argent. Madame Nanteuil, qui ��tait sage et savait le prix des choses, n'en murmurait pas, et elle ��tait r��compens��e de son d��vouement, car, depuis six semaines qu'elle ��tait aim��e �� nouveau, elle rajeunissait.
Chevalier, qui suivait son id��e, demanda:
--Girmandel, il n'est plus jeune?
--Il n'est pas vieux, dit madame Nanteuil. Un homme n'est pas vieux �� quarante ans.
--Est-ce qu'il n'est pas ramolli?
--Mais non, r��pondit madame Nanteuil avec tranquillit��.
Chevalier, songeur, se tut. Madame Nanteuil s'assoupit. Puis, tir��e de sa somnolence par la bonne qui apportait la sali��re et la carafe, elle demanda:
--Et vous, monsieur Chevalier, ��tes-vous content?
Non, il n'��tait pas content. Les critiques s'entendaient pour lui casser les reins. Et la preuve qu'ils ��taient coalis��s contre lui, c'est qu'ils disaient tous la m��me chose: ils disaient qu'il avait le masque ingrat.
--Un masque ingrat! s'��criait-il indign��, ils devraient dire: un masque pr��destin��... Je vais vous expliquer, madame Nanteuil. Je vois grand: c'est ce qui me fait du tort. Ainsi, dans la Nuit du 23 octobre, qu'on r��p��te en ce moment, je fais Florentin: six r��pliques, une panne... Mais j'ai grandi le personnage d��mesur��ment. Durville est furieux. Il me coupe tous mes effets.
Madame Nanteuil, placide et bienveillante, trouva de bonnes paroles. Il y avait des obstacles, mais on finissait par les surmonter. Sa fille aussi s'��tait heurt��e au mauvais vouloir de certains critiques.
--Minuit et demi! dit Chevalier assombri. F��licie est en retard.
Madame Nanteuil
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