et cueillait, en se jouant, tous les lauriers
universitaires, comprit, excusa, admira le coeur maternel qui l'aimait
d'un amour si aigu, jusqu'à la souffrance, et il n'y toucha que d'une main
pieuse et légère, avec les délicatesses d'un homme fait.
Ce fut une immense joie pour Mme Bernard quand elle reconnut qu'elle
était tant et si bien aimée. Alors elle se reprocha d'absorber son fils, de
le trop garder près d'elle. Elle attira dans sa maison et reçut avec bonté
les camarades de son Armand, voulut lui donner plus de liberté. Mais
loin d'en abuser, comme l'eût fait tout autre adolescent, il redoublait
d'assiduité, de touchantes attentions, Pendant plusieurs années, elle fut
la plus heureuse des mères.
Un de ses très vifs plaisirs était de sortir à pied, dans Paris, au bras de
son fils. Il finissait sa dernière année de collège, était devenu un svelte
et charmant jeune homme, s'habillant bien, sans gaucherie. Quant à
Mme Bernard, elle avait franchi victorieusement la trente-sixième
année. Bien des têtes se retournaient sur leur passage; mais la belle
veuve ne remarquait même pas que tous les hommes avaient encore
pour elle un regard soudainement charmé, tout occupée qu'elle était de
chercher, dans les yeux des femmes, un instant fixés sur son fils, ce
sourire fugitif qui signifie clairement: «Le joli garçon!» Il ne paraissait
pas y prendre garde, d'ailleurs, et c'était une douceur de plus pour cette
mère, de se dire que son cher fils, si intelligent, si précoce, était en
même temps si pur et ignorait à ce point sa beauté.
Elle y songeait bien quelquefois, à cette crise solennelle de la puberté, à
cette redoutable métamorphose qui, de l'adolescent, fait un homme. Oui,
un jour viendrait--jour maudit!--où son Armand aimerait une autre
femme autrement et plus qu'elle. Cette pensée la faisait si
douloureusement souffrir que, prise de lâcheté, elle ne voulait pas s'y
arrêter, la chassait de son esprit. A coup sûr,--mais plus tard, oh! bien
plus tard,--quand Armand aurait fait son droit, entrepris une carrière, il
se marierait. Cela, c'était tout naturel. Et alors elle serait raisonnable,
l'aiderait à choisir une compagne qui pût le rendre heureux. Mais la
maîtresse, la voleuse de jeunes coeurs, celle qui prend un fils à sa mère
et le lui renvoie les sens troublés et les yeux meurtris, celle-là était,
pour la Corse rancunière, pour la chaste veuve du débauché, pour la
mère exigeante et jalousé, une ennemie d'avance exécrée, à laquelle elle
ne pouvait penser sans serrer les dents et sans trembler de colère.
IV
Cette rivale future, Mme Bernard des Vignes l'introduisit elle-même
dans sa maison, au moment où son fils, qui venait d'atteindre sa
vingtième année, commençait ses études de droit.
Elle s'appelait Henriette Perrin et était une simple ouvrière en journées.
Une amie de Mme Bernard, personne extrêmement charitable, lui avait
chaudement recommandé cette jeune fille. A peine âgée de dix-neuf ans,
orpheline de père et de mère, elle n'avait pour vivre que son gain,--trois
francs par jour et nourrie,--et trouvait encore moyen, avec d'aussi
faibles ressources, d'aider une tante très âgée chez qui elle demeurait.
Mme Bernard fut séduite au premier abord par cette jolie enfant, si
gracieuse, si décente, et s'habillant avec le goût instinctif des fillettes de
Paris, qui vous ont tout de suite l'air d'une dame dans une robe à vingt
sous le mètre, chiffonnée de leurs mains industrieuses. L'ouvrière fut
aussi prise en amitié par Léontine, la vieille femme de charge, qui fit
sur elle, à sa maîtresse, les rapports les plus favorables.
--Cette pauvre petite! disait-elle à Mme Bernard. Ça vous arrive à pied,
du fond de Vaugirard, dès huit heures du matin, et à jeun encore. Je lui
donne son café au lait, et bien vite elle s'installe au petit salon, dans
l'embrasure de la fenêtre, tranquille comme Baptiste, sans faire plus de
bruit qu'une souris. Ah! c'est mam'zelle Silencieuse! Toute la journée,
elle tire son aiguille. Et je te couds, et je te couds... Jolie avec ça.
Madame a remarqué ses beaux cheveux blonds... Et une taille à tenir
dans les deux mains... Comme Madame me l'a permis, je lui apporte ses
repas sur un guéridon. Car Madame a bien raison: pour une jeunesse, ça
ne vaut rien, l'office et la société des domestiques. Elle mange très
proprement, sans laisser tomber une miette de pain. Alors, des fois,
nous faisons un bout de causette. Elle a bien du mal, allez! madame.
Figurez-vous que, sans elle, sa tante serait, à l'heure qu'il est, avec les
vieilles priseuses qu'on voit se chauffer au soleil, sur les bancs, devant
la Salpêtrière. Si jeune, si courageuse, et des charges de famille! Si ça
ne fait pas pitié!
Mme Bernard reconnut bientôt par elle-même que la jeune ouvrière
méritait réellement tout ces éloges, trouva toujours en elle
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