rester
à Paris... Le chagrin qui me poussait à fuir n'existe plus, ou du moins il
n'est plus sans espoir... J'hésite... Dois-je rester, ou partir? Je le
demande simplement, franchement, à votre amitié.
Mme Bernard a compris. Sous cette forme à peine voilée, le colonel lui
demande s'il peut attendre la récompense de sa silencieuse fidélité. Elle
n'a qu'à dire un mot, «restez», et, dans un an, elle sera la femme d'un
homme qu'elle estime, qui la consolera de toutes les misères du passé,
qui sera paternel pour son cher Armand. Elle pourra connaître le
bonheur, aimer, vivre!...
Mais la porte s'ouvre brusquement, une fraîche voix d'enfant crie:
«Bonjour, mère!» Mme Bernard tressaille. C'est son fils qui revient du
collège, et qui, ayant jeté ses livres sur la table, lui saute joyeusement
au cou.
--Bonjour, mon enfant, dit le colonel, voulez-vous me donner une
poignée de main?
Armand connaît à peine ce visiteur à l'air grave. Il est de nature un peu
sauvage. Cependant, il touche la main qui lui est offerte, mais par
obéissance polie, et dans ses grands yeux noirs passe un regard
d'inquiétude, presque de soupçon. Mme Bernard a observé son fils. Elle
voit combien cet homme et cet enfant sont étrangers l'un à l'autre, et,
profondément remuée par l'admirable, par le tout puissant instinct
maternel, elle rougit, elle sent à ses oreilles une chaleur de honte. A
quoi pensait-elle donc tout à l'heure, grand Dieu?
Alors, se levant de son fauteuil, elle attire Armand tout près d'elle, pose
avec un geste caressant, une de ses mains sur la tête de son fils, et,
d'une voix calme, les yeux baissés, elle dit au colonel debout devant
elle:
--Je vous dois une réponse, mon cher monsieur de Voris, et elle sera
aussi loyale que votre demande. Je crois... oui, je crois que vous feriez
mieux d'aller en Algérie.
Et ayant salué respectueusement, le colonel s'éloigne d'un pas ferme,
comme un soldat à qui son chef a dit d'aller se faire tuer, et qui y va.
C'est décidé. La belle Mme Bernard des Vignes ne se remariera pas.
III
A partir de cette heure décisive, l'amour de la veuve pour son fils
s'accrut en raison du sacrifice qu'elle lui avait fait, et devint encore plus
passionné, presque jaloux. Elle ne pouvait plus se passer de la présence
d'Armand. Elle avait besoin sinon de le tenir sous ses yeux, du moins
de le savoir à la maison, tout près d'elle. Elle souffrait de ses absences,
pourtant assez courtes, puisqu'il n'allait au lycée que pour en suivre les
cours, et parfois, prise d'un impérieux désir de le revoir une demi-heure
plus tôt, elle demandait sa voiture et se faisait conduire à la porte de
Louis-le-Grand. Elle arrivait là bien en avance, s'impatientait, jetait sur
la porte du lycée des regards d'amoureuse venue la première au
rendez-vous. Enfin, elle entendait le roulement de tambour annonçant
la fin de la classe, et si l'enfant sortait un des derniers, elle en souffrait
positivement, songeait presque à lui reprocher de ne pas avoir pressenti
qu'elle était là. Vite, elle le faisait monter dans le coupé, l'étreignait
pour le baiser au front, comme s'il fût revenu d'un long voyage, et
pendant tout le temps du retour le retenait ainsi contre elle, avec un
geste d'avare.
Quelquefois Armand sortait du lycée, riant et causant avec un camarade,
et Mme Bernard, soudain inquiétée, posait à son fils vingt questions
pressantes: «Comment s'appelle-t-il? Qui est-il? Que font ses parents?
Veux-tu vraiment en faire ton ami?». Et si Armand, avec le facile
enthousiasme de son âge, parlait chaleureusement de son jeune
condisciple, vantait son esprit ou sa bonté, Mme Bernard éprouvait une
sensation pénible, se méfiait déjà de ce nouveau venu qui lui prenait un
peu de son enfant. C'était injuste, elle le savait, elle s'en accusait.
N'aurait-elle pas dû se réjouir, au contraire, qu'Armand fût affectueux et
cordial?
--Invite ce jeune homme à venir à la maison, disait-elle en faisant un
effort. Je serai charmée de le recevoir.
Et, quand elle revoyait le camarade, elle tâchait d'être très gracieuse,
comme pour se punir de son mauvais sentiment. Mais elle y réussissait
mal; c'était plus fort qu'elle; et elle ne retrouvait la possession
d'elle-même que lorsque l'autre était parti et qu'elle avait de nouveau
son fils tout entier, à elle toute seule.
Armand se rendait parfaitement compte de ce que la tendresse de sa
mère avait d'exclusif et d'ombrageux. Car tout en lui, intelligence et
sensibilité, s'était prématurément développé, et cela même à cause de
l'éducation spéciale de son enfance, très solitaire, très caressée, dans la
tiédeur des jupes maternelles. Il ne restait déjà plus, dans cette nature
d'élite, aucun des instincts égoïstes, brutaux, ingrats, qui sont, hélas!
naturels chez les très jeunes gens. Cet enfant extraordinaire, qui faisait
des études excellentes
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