Gertrude et Veronique | Page 4

André Theuriet
p��nible lui semblait moins mis��rable que la sienne. Elles, au moins, gagnaient leur journ��e, et personne ne leur reprochait le pain qu'elles mangeaient le soir... Pendant qu'elle pensait �� toutes ces tristes choses, sa tante poursuivait impitoyablement l'��num��ration de ses bienfaits et la glorification de sa conduite. Une fois sur cette pente, elle ne s'arr��tait plus, m��lant dans son discours les choses les plus respectables aux d��tails les plus vulgaires. Elle parlait avec le m��me accent des souvenirs de famille, des devoirs de parent�� et des menues privations qu'elle s'imposait:--on avait vendu le piano de Reine; elle avait supprim�� son chocolat du matin; les bougies avaient ��t�� remplac��es par de la chandelle, bien que l'odeur du suif lui f?t insupportable... Puis venaient des retours m��lancoliques vers les jours meilleurs d'autrefois, et des comparaisons navrantes entre le pass�� et le pr��sent...
--Encore, ajouta-t-elle en terminant, tout cela ne serait rien si Reine et Honorine ��taient ��tablies. Ah! mes pauvres filles, je crains bien que vous ne coiffiez sainte Catherine!
Cette perspective mettait Reine en fureur.
--Et songer, s'��cria-t-elle avec un geste de d��pit, que si ce ladre d'oncle Renaudin avait voulu, nous aurions pu faire un beau mariage! Cela lui aurait si peu co?t�� de nous doter!... Il ne d��pense rien et sa maison regorge de tout.
--Oui, soupira Honorine, lorsque nous lui avons fait visite pour la derni��re fois, les armoires de la salle ��taient ouvertes... Je vois encore les belles piles de linge et les paniers pleins d'argenterie...
--Et le cellier plein de provisions! ajouta la veuve.
--Et les meubles de soie entass��s dans la chambre de r��serve! murmura la cadette.
--Ah! dit Honorine, qui devenait enrag��e rien qu'en ��coutant cette ��num��ration, si l'oncle ne veut plus nous voir, c'est bien votre faute, �� toi et �� Gaspard! Il fallait l'adoucir et le gagner par des ��gards, tandis que vous l'avez irrit�� avec vos grands airs et vos plaisanteries. Au lieu de le traiter tout haut d'Harpagon, si Gaspard lui avait port�� un li��vre de temps �� autre, tout se serait raccommod��.
Gaspard bondit d'indignation.
--Moi, donner un li��vre �� ce pince-maille! Je pr��f��rerais le jeter �� la gueule de Phanor!... Pour qui me prends-tu? Est-ce qu'un Maupri�� se couche �� plat ventre devant un h��ritage?... Tu sais le dicton: ?Gueux et fier comme un verrier!? Mon p��re l'��tait, et bon chien chasse de race. J'aimerais mieux crever dans un foss�� que de mendier les bonnes graces d'un croquant qui s'est enrichi en tondant ses moutons et ses d��biteurs, et qui aujourd'hui encore trouverait �� tondre sur un oeuf... Assez sur ce chapitre, ne m'en parle plus et sers-nous �� souper!
Le couvert ��tait mis et la soupe au lait, pr��par��e par Honorine, fumait dans la soupi��re. Ils s'assirent tous autour de la table couverte d'une toile cir��e. Madame de Maupri�� dit �� haute voix le B��n��dicit��, que Gaspard et Xavier ��cout��rent debout, puis on n'entendit plus qu'un bruit de cuillers et de vaisselle.
Le souper ��tait abondant, et on sentait que le bien vivre ��tait le seul luxe auquel les Maupri�� n'avaient pas renonc��.--Un pat�� de li��vre dans sa terrine, un jambonneau dans sa gel��e, une salade de maches et un fromage du pays composaient le menu. Gaspard et sa m��re l'arrosaient d'un petit vin du Verdunois; Xavier et les trois filles buvaient de la piquette. Tous avaient bon app��tit, �� l'exception de Gertrude, qui se for?ait pour avaler une bouch��e, et qui semblait absorb��e par ses r��flexions. Gaspard, le dos au feu et son chien Phanor entre les jambes, mangeait comme quatre, buvait d'autant et semblait rass��r��n�� par le rayonnement de l'atre qui lui chauffait les reins, et les rasades de vin qui lui ��gayaient le cerveau; son verbe tranchant s'��tait adouci, et parfois un large ��clat de rire entrecoupait ses propos de chasseur. La conversation roulait le plus souvent sur les souvenirs du temps pass�� et sur les familles de verriers avec lesquelles les Maupri�� entretenaient des relations de voisinage. Au dessert, Gaspard, mis compl��tement en bonne humeur, fredonna un air de chasse et conta ses exploits de la journ��e. Il ��tait tard quand on se leva de table; Honorine et Gertrude enlev��rent le couvert et chacun s'appr��ta �� gagner son dortoir. Les trois jeunes filles all��rent embrasser madame de Maupri��; Gaspard baisa bruyamment les joues de ses soeurs, puis s'avan?a vers Gertrude.
--Allons, petite cousine, dit-il en lui tendant la main, pas de bouderie!... Faisons la paix!
Gertrude le regarda fixement et r��pondit d'une voix br��ve:
--Cousin Gaspard, je suis fille de verrier, moi aussi, et j'ai de la rancune... Bonsoir.
Gaspard demeurait ��bahi. Elle passa rapidement devant lui pour aller rejoindre ses cousines, puis elle s'approcha de Xavier et murmura, tout en lui souhaitant le bonsoir:
--J'ai besoin de te parler; sois demain de bonne heure �� ton atelier.

II
Ainsi qu'elle l'avait dit �� Gaspard, Gertrude ��tait une vraie fille de
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