Gertrude et Veronique | Page 3

André Theuriet
depuis la ligne fi��re de sa petite bouche aux coins retrouss��s, jusqu'aux mignonnes attaches de ses mains effil��es et de ses pieds cambr��s, r��v��lait la finesse de sa race. Elle ��tait si charmante, m��me �� la maigre lueur de la lampe, que Xavier ne put retenir un geste d'admiration, ni ses cousines un regard de d��pit.
--Tu es rest��e bien longtemps �� la ferme, dit Honorine en lui prenant des mains le pot au lait.
--Suis-je en retard? r��pondit Gertrude. Attends, je vais t'aider, et nous aurons bien vite rattrap�� le temps perdu.--Elle se d��barrassa de sa fanchon, et alla embrasser madame de Maupri�� qui lui tendit froidement sa joue.
--Figurez-vous, continua-t-elle, que j'ai rencontr�� l'oncle Renaudin!...
A ce nom, toutes les t��tes se lev��rent et chacun ��couta d'un air plus attentif.
--Il suivait la chauss��e de l'��tang, poursuivit Gertrude, j'ai eu peur de me trouver avec lui face �� face, et je suis rest��e �� la lisi��re du bois jusqu'�� ce qu'il e?t pass��.... Le pauvre homme ne peut presque plus marcher et j'ai d? attendre longtemps. Il se tra?nait tout courb��.... cela m'a serr�� le coeur!
--Je t'engage �� t'apitoyer! s'��cria Reine: il a ��t�� si aimable pour nous tous!
--N'importe, c'est notre oncle.... Et il a l'air si cass�� et si souffrant!
--Il se fait vieux, dit la veuve, on pr��tend m��me que son esprit se d��range. Il ��tait pourtant bien alerte quand il est revenu �� Lachalade, il y a dix ans.... Je vois encore sa taille droite drap��e dans sa longue redingote, et son air imposant....
--Oui, interrompit Gaspard d'un ton sarcastique, cet air avec lequel il nous cong��dia brutalement d��s notre seconde visite.... Il s'est conduit comme un manant!
--Oh! Gaspard... fit Gertrude.
--Oui, comme un manant, je le r��p��te, car je ne sais pas dorer mes paroles et je ne mache pas ce que j'ai sur le coeur.... Je le hais!
--Il ne m'a pas mieux re?ue que vous, reprit Gertrude, il ne m'a m��me pas laiss��e parler, quand j'ai ��t�� le visiter, �� mon arriv��e �� Lachalade; mais en le voyant se tra?ner p��niblement ce soir sur le chemin pierreux, j'ai ��t�� touch��e de piti��, et si j'avais os��, je lui aurais offert mon bras jusqu'�� sa porte.
--Oh! tu es fine, toi! s'��cria Gaspard en ricanant.
--Ce n'est pas de la finesse, c'est du coeur! r��pondit Gertrude bless��e, et en m��me temps des larmes roul��rent dans ses yeux.
Xavier la regarda d'un air ��mu et charm�� �� la fois.
--Gertrude a raison, dit-il enfin d'une voix sourde, et j'aurais fait comme elle.
Gaspard le toisa des pieds �� la t��te.
--Silence, morveux, lui cria-t-il; quand on a du coeur, on reste fier; il n'y a que les ames basses qui pardonnent les injures!
--Gertrude, dit froidement la veuve en enfon?ant une de ses aiguilles dans ses cheveux gris, la sensibilit�� ne doit jamais faire oublier la dignit��; ton oncle t'a repouss��e et nous t'avons accueillie, malgr�� nos ressources born��es. En insistant comme tu le fais, tu as l'air de ne pas t'en souvenir.
--Ma tante, ne le croyez pas! s'��cria Gertrude, et, s'agenouillant pr��s de la veuve, elle lui baisa les mains.--Vous avez ��t�� bonne pour moi, et mon coeur vous en remercie tout bas �� chaque instant. En disant ces mots elle voulut passer ses bras autour du cou de sa tante, et r��pandre au dehors l'��motion qui gonflait sa poitrine, mais d'un geste, madame de Maupri�� ��carta les mains de la jeune fille.
--Assez, mon enfant, tu sais que je n'aime pas les sc��nes sentimentales! dit-elle s��chement.
Gertrude se sentit glac��e, et refoulant sa tendresse au fond de son coeur, elle s'en alla tristement s'asseoir pr��s de la chemin��e.
--Je ne veux faire de le?on �� personne, poursuivit la veuve de son ton emphatique et tranchant, seulement je pense qu'une famille hospitali��re et g��n��reuse a droit �� d'autres ��gards qu'un parent avare et d��natur��, et que se montrer tendre avec lui, c'est nous donner tort �� nous. Je ne fais point parade des sacrifices que je m'impose, mais personne n'ignore que nous vivons de privations depuis cinq ans; depuis cinq ans la vie est dure pour nous,--mes filles en savent quelque chose!...
Gertrude aussi ne l'ignorait pas. Elle ��tait arriv��e �� quatorze ans dans la maison de sa tante, et depuis lors, elle avait silencieusement d��vor�� plus d'une humiliation. Elle se le disait, assise sur sa chaise basse, ��touffant ses sanglots et br?lant aux ardeurs du brasier ses paupi��res gonfl��es de larmes. La brass��e de bois vert qu'Honorine venait de jeter sur les chenets se tordait sur la braise et lan?ait de bruyants jets de flamme. Gertrude songeait aux pauvres femmes qui vont dans la for��t ramasser des branches mortes et rentrent le soir, courb��es sous leur fagot. Elle pensait aux filles des charbonniers, qui veillent toute la nuit, accroupies autour des fournaises grondantes. Elle aurait voulu ��tre l'une d'elles. Leur vie si
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