Gertrude et Veronique | Page 2

André Theuriet
ne parlait plus et le silence n'��tait interrompu que par le sifflet du chasseur, le balancier de l'horloge dans sa longue bo?te, et les soupirs de l'��pagneul qui s'��tait ��tendu pr��s des chenets.
Quand le fusil fut nettoy��, Gaspard releva la t��te.
--Eh bien! et ce souper? demanda-t-il d'un ton bourru.
--J'attends le lait que Gertrude est all��e chercher �� la Louvi��re, r��pondit Honorine.
--Elle y met le temps, la cousine Gertrude! grommela Gaspard; au sortir du bois je l'ai vue de loin, trottant menu et sautillant de pierre en pierre, comme si le sable du chemin n'��tait pas digne de toucher ses pieds de princesse.... Elle se sera sans doute arr��t��e �� coqueter avec le fils du fermier.
Honorine haussa les ��paules.
--Fi donc! Gaspard, dit-elle, est-ce qu'une fille bien ��lev��e fait attention �� ces gens-l��?
Gaspard ��clata de rire:
--Faute de grives on mange des merles, et il faut bien que vous vous contentiez du seul gibier qui soit �� votre port��e.... Toi-m��me, ma soeur, pourquoi uses-tu les oeufs du poulailler �� fabriquer du lait virginal, si ce n'est pour que la blancheur de ton teint ��blouisse ces gens-l��?
--Des paysans! fit Reine, et son minois chiffonn�� prit une expression d��daigneuse.
--Je ne parle pas pour toi, Reine, continua Gaspard, je connais tes go?ts; tu attends que le fils d'un roi vienne �� deux genoux t'offrir sa main, mais Gertrude est moins ambitieuse.
--Oui, elle est peuple, soupira la cadette, et elle se replongea dans sa lecture.
--H��las! dit madame de Maupri�� de sa voix languissante, elle a les id��es que feu son p��re avait prises dans les garnisons. Le capitaine Jacques de Maupri�� avait eu le tort de m��priser la profession de sa famille.... J'ai souvent ou? dire �� votre pauvre p��re que, depuis le roi Henri IV jusqu'�� 1830, tous les Maupri�� avaient souffl�� le verre... Un gentilhomme verrier ne devrait jamais quitter ses ouvreaux! Et elle lan?a un regard de reproche �� Gaspard.
--Est-ce pour moi que vous dites cela, ma m��re? reprit celui-ci d'un ton rude; pourtant si la verrerie des Bas-Bruaux a ��t�� vendue en justice dix ans apr��s votre mariage avec mon p��re, je n'y suis pour rien, et vous en savez l��-dessus plus long que moi... Vous me r��pondrez que j'aurais pu travailler aux Senades, chez les du Tertre; mais j'ai des pr��jug��s, moi aussi, et je n'aime pas �� servir chez les autres!
En entendant cette br��ve repartie, la veuve releva la t��te; ses yeux rencontr��rent ceux de son fils a?n�� et une l��g��re rougeur colora ses joues fl��tries.
--A Dieu ne plaise, soupira-t-elle, que je vous adresse un reproche, Gaspard! Vous ��tiez trop jeune lors de la faillite des Bas-Bruaux pour savoir comment les choses se sont pass��es, et je voulais justement vous dire que notre d��confiture ne serait pas arriv��e, si Jacques de Maupri�� avait consenti �� s'associer avec nous.... Mais le p��re de Gertrude n'avait pas le culte des traditions de famille; c'��tait un soldat, et sous un certain rapport, il est presque heureux que sa mort ait ramen�� ma ni��ce dans un milieu convenable.
--Heureux! murmura Gaspard en se promenant de long en large, heureux!.... pour Gertrude, c'est possible; mais pour nous, qui ��tions d��j�� r��duits �� la portion congrue, je ne vois pas quel bonheur l'arriv��e de cette sixi��me bouche a pu apporter dans le m��nage!
--Gertrude est doublement ma ni��ce, r��pliqua la veuve. C'��tait un devoir pour moi de recueillir la fille de Jacques de Maupri�� et de ma propre soeur... Qu'eut dit le monde si nous l'eussions laiss��e �� l'abandon? Songez, Gaspard, que vous ��tes son tuteur et que nous sommes responsables de son avenir.
--Morbleu! s'��cria Gaspard, vous me la baillez belle, avec votre responsabilit��!.... N'aviez-vous pas assez �� faire de surveiller Reine qui a la t��te farcie de romans!... Je ne parle pas d'Honorine, qui se garde toute seule, maintenant qu'elle est mont��e en graine....
Honorine eut un beau mouvement d'indignation et laissa tomber son filtre.
--Gaspard, commen?a-t-elle de sa voix la plus aigre, je ne r��pondrai pas �� vos grossi��ret��s, seulement....
Elle allait en dire long, quand Xavier, qui n'avait cess�� de regarder dans la rue, tourna vivement la t��te. ?Voici Gertrude!? murmura-t-il, et tous se turent.
On entendit en effet un fr?lement de robe et un pas l��ger dans le corridor, puis Gertrude entra dans la salle, son pot au lait �� la main. Elle ��tait blonde, svelte et pouvait avoir dix-neuf ans. Une fanchon de laine blanche, pos��e en pointe sur ses cheveux abondants, encadrait l'ovale d��licatement allong�� de son visage, puis retombait sur ses belles ��paules larges et sur sa poitrine doucement agit��e. Elle avait couru; de folles m��ches soyeuses, ��chapp��es �� ses bandeaux, s'��taient soulev��es et formaient une sorte d'aur��ole autour de son front. L'air froid du soir avait aviv�� les nuances roses de ses joues, et ses grands yeux brillaient comme de limpides aigues-marines. Tout en elle,
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