un bon feu, lui dit-il, assieds-toi là et chauffe tes pieds... L'air est humide ce matin.--Tout en tourmentant un morceau de bois avec son ciseau, il la regardait d'un air embarrassé, Gertrude était restée debout près de l'établi. Ses lèvres étaient serrées, ses regards sérieux, et elle pressait nerveusement contre sa poitrine les pointes de sa fanchon.
--Comme tu es pale! s'écria Xavier.
--Je n'ai pas dormi, répondit-elle; j'ai pensé toute la nuit à une chose à laquelle je me suis décidée.
--Que veux-tu dire, Gertrude, et qu'y a-t-il de nouveau?
--Je ne puis plus supporter la vie que je mène, Xavier, je ne le puis plus!... Je sens chaque jour davantage combien je suis ici à charge à tout le monde.
--A tout le monde?... interrompit Xavier en la regardant d'un air de reproche.
--Non, pas à toi! s'écria-t-elle en se rapprochant de lui, tu as toujours été bon pour moi, cousin Xavier. Mais les autres!... Tu as entendu Gaspard, hier, et tu sais qu'il m'a prise en aversion... Mes cousines sont méchantes avec moi et ma tante ne m'aime pas. Je fais pourtant ce que je puis pour qu'on m'aime, et je n'y réussis pas! Je sens que je leur pèse. Je ne suis qu'une enfant, mais j'ai de l'orgueil, moi aussi, et je souffre... Je veux partir.
--Partir!... Xavier laissa tomber son ciseau et demeura muet. Il regardait sa cousine sans pouvoir parler, et ses mains étaient toutes tremblantes. Pour lui, Gertrude était la seule joie de la maison, le seul point lumineux dans la vie grise et terne de tous les jours.--Partir! reprit-il enfin d'une voix sourde, seule! à ton age!... Y penses-tu?
--Il y a longtemps que j'y pense, poursuivit Gertrude, et j'avais hésité jusqu'à hier soir, mais ce matin mon parti est pris. Je suis courageuse, je travaillerai. Voilà un an que je vais coudre chez la modiste du village; c'est une bonne fille qui m'a appris ce qu'elle sait et qui s'est déjà occupée de me chercher une place à la ville.
--Elle l'a trouvée? demanda-t-il avec anxiété.
--Oui, et c'est pourquoi je me suis décidée à te parler ce matin avant que tu ne partes pour les Islettes... Voici une lettre que je te prie de mettre à la poste là-bas.
Xavier demeurait silencieux. Ses yeux sombres avaient pris une expression d'angoisse passionnée. Il contemplait tristement Gertrude, qui s'était approchée du poêle et tendait vers la plaque de fonte ses petites mains glacées.
--Dans trois jours, reprit-elle, quand tu retourneras aux Islettes, il faudra que tu aies la complaisance de passer de nouveau au bureau de poste. La ma?tresse du magasin où je désire travailler doit répondre à cette lettre poste restante, et tu me rapporteras sa réponse.
--Je ferai ce que tu demandes, dit-il en soupirant profondément; mais songes-y bien encore, Gertrude... La vie est dure chez les autres!
--Je le sais, répondit-elle avec amertume... Puis comme elle craignait de l'avoir blessé, elle lui prit la main et la serra.
--Merci, dit-elle, ami Xavier! Garde-moi le secret jusqu'à nouvel ordre.
Elle avait les larmes aux yeux, et lui, se sentait le coeur serré par une douleur poignante.
--Gertrude, s'écria-t-il, ne t'en va pas!
--Il le faut, mon ami.
--Gertrude! répéta-t-il encore en lui secouant la main, et en même temps mille pensées confuses lui montaient aux lèvres. Ses yeux regardaient sa cousine avec une expression touchante. Si ces grands yeux sombres avaient pu parler, ils auraient dit: ?Par pitié, ne t'en va pas, sois patiente et appuie-toi sur mon bras!...? Mais les yeux se contentaient de lancer des regards navrants, et Xavier n'osait pas révéler tout ce qu'il avait dans le coeur. D'ailleurs son propre avenir était si obscur! Le secours qu'il aurait pu offrir était beaucoup si on l'aimait, peu de chose s'il n'était pas aimé. Qui pouvait savoir si Gertrude l'aimait autrement que comme un compagnon d'enfance?... Si elle l'avait aimé plus sérieusement, aurait-elle songé à partir?...
Il refoula en lui les mots prêts à jaillir.
--Soit, dit-il d'une voix étranglée, je ferai ta commission.
Gertrude le remercia de nouveau et quitta l'atelier. Accoudé sur son établi, Xavier la regardait à travers les vitres tandis qu'elle suivait légèrement les plates bandes herbeuses. Elle avait disparu depuis longtemps déjà, qu'il était encore, à la même place, la main appuyée sur son front, roulant des pensées noires et découragées, pendant que le vent faisait tournoyer les feuilles sèches sur le gazon, et que les moineaux pépiaient dans les sapins....
Quatre jours après, Xavier qui revenait des Islettes aper?ut, au soleil couchant, Gertrude qui l'attendait sur le pas de la porte.
--J'ai quelque chose pour toi, lui dit-il tristement, et il lui tendit une lettre qu'elle décacheta avec vivacité. Tandis qu'elle la lisait, Xavier, appuyé contre la porte, considérait le fin profil de la jeune fille éclairée par les rougeurs du couchant. Elle releva brusquement la tête, et il l'interrogea du regard.
--Tout est terminé, dit-elle avec
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