pour le pousser dans un emploi public, sa mère n'e?t jamais consenti à faire de lui un commer?ant; d'ajournements en ajournements, il resta à Lachalade, menant une vie dont l'inutilité lui pesait. Sous l'influence du milieu vulgaire dans lequel il grandissait, ses nerfs étaient devenus plus irritables, et son esprit de moins en moins communicatif. Gertrude seule aurait pu l'apprivoiser et le rendre expansif; mais, avec elle, un autre sentiment arrêtait son élan et paralysait sa langue,--la timidité.
La grace primesautière, l'esprit vif et naturel de la jeune fille imposaient à ce gar?on sauvage et gauche. Il br?lait de confier à sa cousine les inquiétudes et les ambitions qui agitaient son ame, et tout le temps qu'il était seul, il trouvait mille fa?ons de traduire ses aspirations confuses; mais une fois en face de Gertrude, les mots ne venaient plus. Il commen?ait une phrase, balbutiait en voyant les grand yeux de la jeune fille se fixer sur les siens, puis brusquement il s'arrêtait et redevenait silencieux. Plus Gertrude croissait en age et plus Xavier se repliait sur lui-même; celle-ci, découragée par les airs farouches et le ton parfois bourru de son cousin, commen?ait à imiter sa réserve. Ils se sentaient toujours sympathiques l'un à l'autre; mais ils se parlaient peu, se bornant à échanger un sourire ou un regard, en signe de tacite alliance.
Humilié de son inaction, las des distractions du village et des ineptes conversations de ses soeurs, Xavier s'était consolé en se livrant à son go?t très vif pour le dessin. Comme son frère Gaspard, il s'était mis à courir les bois, mais ce n'était pas le même attrait qui le retenait dans les gorges de l'Argonne.--Il était devenu amoureux de la forêt.--Les arbres aux attitudes majestueuses, les terrains mouvementés, la riche coloration des bruyères roses ou des fougères dorées par l'automne; le monde toujours bruissant, gazouillant ou bondissant des insectes, des oiseaux et des fauves, tout cela le charmait et le passionnait. La fée des bois l'avait touché de sa baguette de coudrier; elle l'avait ramené, séduit et asservi sous les vo?tes verdoyantes de la forêt enchantée. Il y passait des journées entières à dessiner. Il avait fait connaissance avec les charbonniers et les sabotiers de la Gorge-aux-Couleuvres, et ces silvains demi-sauvages, tout possédés de l'esprit forestier, l'avaient initié aux mystères des bois. Le soir, au long des fournaises flamboyantes, le ma?tre charbonnier lui avait appris le nom de toutes les essences d'arbres, le chant de toutes les espèces d'oiseaux, et c'était en voyant le sabotier de la Poirière tailler le hêtre et le bouleau, qu'une préoccupation nouvelle avait agité son esprit.
De l'admiration des belles choses au désir de les reproduire, la distance est courte. Xavier s'était tout à coup senti travaillé par ce besoin de création qui fait le tourment et la joie des organisations artistiques. Après s'être longtemps contenté de dessiner des arbres et des plantes, il fut pris du désir de serrer de plus près la réalité, tout en l'accommodant à certaines combinaisons idéales. La rustique industrie du sabotier Trinquesse fut pour lui comme une révélation. Il essaya à son tour de tailler le bois à sa fantaisie, et pria Trinquesse de lui apprendre son métier. Il y fit bient?t des progrès surprenants, et non content de manier la rouette et le paroir, il s'aboucha avec le menuisier de Lachalade, qui lui montra à dresser, à tourner et à assembler. Puis, son apprentissage terminé, il se procura les outils nécessaires et installa son atelier de sculpture sur bois dans un appentis adossé à la cl?ture du jardin.
C'était là qu'il passait des journées entières, tout absorbé par des tentatives auxquelles personne dans la famille ne s'intéressait, sauf Gertrude. Ce fut là qu'il vint attendre sa cousine au lendemain de la scène qui ouvre ce récit. Cette visite matinale, annoncée si brusquement et si mystérieusement par la jeune fille, l'avait préoccupé toute la nuit; il allait et venait dans l'atelier d'un air impatient, et son inquiétude se peignait sur sa physionomie aux traits mobiles. C'était, à cette époque, un gar?on maigre et brun, de taille moyenne et de mine rêveuse. Ses beaux yeux noirs, enfoncés dans l'orbite, avaient parfois l'air de regarder en dedans. Il ne portait pas sa barbe, et l'expression fine, un peu triste, de sa bouche ressortait mieux encore sur son visage soigneusement rasé. Les flammes sombres de ses yeux creux et la ligne rouge de ses lèvres tranchaient vivement sur la paleur olivatre de son teint, et donnaient un caractère saisissant à sa figure encadrée de longs cheveux noirs.
Il tressaillit tout à coup en entendant crier le sable de l'allée; un fr?lement de jupe et un léger bruit de pas annon?aient l'arrivée de Gertrude. Il courut ouvrir à sa cousine et l'amena jusqu'auprès de l'établi où un petit poêle ronflait joyeusement.
--Je t'ai fait
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