Germinie Lacerteux | Page 7

Edmond de Goncourt
lui ��tait d��fendu par son p��re, qui n'admettait pas qu'elle e?t seulement l'id��e de se marier, de l'abandonner: tous les partis qui auraient pu se pr��senter, il les combattait et les repoussait d'avance, de fa?on �� ne pas m��me laisser �� sa fille le courage de lui parler, si jamais une occasion s'offrait �� elle.
Cependant nos victoires ��taient en train de d��m��nager l'Italie. Les chefs-d'oeuvre de Rome, de Florence, de Venise, se pressaient �� Paris. L'art italien effa?ait tout. Les collectionneurs ne s'honoraient plus que de tableaux de l'��cole italienne. L'occasion d'une fortune apparut l��, dans ce mouvement de go?t, �� M. de Varandeuil. Lui aussi avait ��t�� pris de ce dilettantisme artistique qui fut une des d��licates passions de la noblesse avant la R��volution. Il avait v��cu dans la soci��t�� des artistes, des curieux; il aimait les tableaux. Il songea �� rassembler une galerie d'italiens et �� la vendre. Paris ��tait encore plein des ventes et des dispersions d'objets d'art faites par la Terreur. M. de Varandeuil se mit �� battre le pav��,--c'��tait alors le march�� des grandes toiles,--et �� chaque pas il trouva; chaque jour, il acheta. Bient?t le petit appartement s'encombra, �� ne pas laisser la place aux meubles, de vieux tableaux noirs si grands pour la plupart qu'ils ne pouvaient tenir aux murs avec leurs cadres. Tout cela ��tait baptis�� Rapha?l, Vinci, Andr�� del Sarte; ce n'��taient que chefs-d'oeuvre devant lesquels le p��re tenait souvent sa fille pendant des heures, lui imposait ses admirations, la lassait de ses extases. Il montait d'��pith��tes en ��pith��tes, se grisait, d��lirait, finissait par croire qu'il ��tait en march�� avec un acheteur id��al, d��battait le prix du chef-d'oeuvre, criait:--Cent mille livres, mon Rosso! oui, monsieur, cent mille livres!... Sa fille, effray��e de tout l'argent que ces grandes vilaines choses, o�� ��taient de grands affreux hommes tout nus, prenaient au m��nage, essayait des repr��sentations, voulait arr��ter cette ruine: M. de Varandeuil s'emportait, s'indignait en homme honteux de trouver si peu de go?t dans son sang, lui disait que plus tard ce serait sa fortune, qu'elle verrait s'il ��tait un imb��cile. �� la fin, elle le d��cidait r��aliser. La vente eut lieu: ce fut un d��sastre, un des plus grands ��croulements d'illusions qu'ait vus la salle vitr��e de l'h?tel Bullion. Bless�� �� fond, furieux de cet ��chec qui n'��tait pas seulement une perte d'argent, un accroc �� sa petite fortune, mais une d��faite du connaisseur, un soufflet donn�� �� ses connaissances sur la joue de ses Rapha?l, M. de Varandeuil d��clara �� sa fille qu'ils ��taient d��sormais trop pauvres pour rester �� Paris et qu'il fallait aller vivre en province. ��lev��e et berc��e par un si��cle qui formait peu les femmes l'amour de la campagne, Mlle de Varandeuil essaya vainement de combattre la r��solution de son p��re: elle fut oblig��e de le suivre o�� il voulait aller et de perdre, en quittant Paris, la soci��t��, l'amiti�� de deux jeunes parentes auxquelles, dans de trop rares entrevues, elle s'��tait demi ouverte et dont elle avait senti le coeur venir �� elle comme �� une soeur a?n��e.
C'��tait �� l'Isle-Adam que M. de Varandeuil louait une petite maison. Il se trouvait l�� pr��s d'anciens souvenirs, dans l'air d'une ancienne petite cour, �� proximit�� de deux ou trois chateaux qui commen?aient �� se repeupler et dont il connaissait les ma?tres. Puis sur cette terre des Conti ��tait venu s'��tablir, depuis la R��volution, un petit monde de gros bourgeois, de commer?ants enrichis. Le nom de M. de Varandeuil sonnait haut �� l'oreille de tous ces braves gens. On le saluait tr��s-bas, on se disputait l'honneur de l'avoir, on ��coutait respectueusement, presque religieusement, les histoires qu'il contait de l'ancienne soci��t��. Et flatt��, caress��, honor�� comme un reste de Versailles, il avait le haut bout et la place d'un seigneur dans ce monde. Quand il d?nait chez Mme Mutel, une ancienne boulang��re, riche de quarante mille livres de rentes, la ma?tresse de maison se levait de table, en robe de soie, pour aller frire elle-m��me les salsifis: M. de Varandeuil ne les aimait que de sa fa?on. Mais ce qui avait d��cid�� avant tout la retraite de M. de Varandeuil �� l'Isle-Adam, ce n'��taient point ces agr��ments, c'��tait un projet. Il y ��tait venu chercher le loisir d'un grand travail. Ce qu'il n'avait pu faire pour l'honneur et la gloire de l'art italien par sa collection, il voulait le faire par l'histoire. Il avait appris un peu d'italien avec sa femme; il se mit en t��te de donner la Vie des peintres de Vasari au public fran?ais, de la traduire en se faisant aider par sa fille qui, toute petite, avait entendu parler italien �� la femme de chambre de sa m��re et retenu quelques mots. Il enfon?a la jeune fille dans Vasari, enferma son temps et sa pens��e dans
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