Germinie Lacerteux | Page 8

Edmond de Goncourt
les grammaires, les dictionnaires, les commentateurs, tous les scholiastes de l'art italien, la tint vo?t��e sur l'ingrat travail, sur l'ennui et la fatigue de traduire des mots �� tatons. Tout le livre retomba sur elle; quand il lui avait taill�� sa besogne, la laissant en t��te �� t��te avec les volumes reli��s en v��lin blanc, il partait se promener, rendait des visites aux environs, allait jouer dans un chateau ou d?ner chez les bourgeois de sa connaissance, auxquels il se plaignait path��tiquement de l'effort et du labeur que lui co?tait l'��norme entreprise de sa traduction. Il rentrait, ��coutait la lecture du morceau traduit, faisait ses observations, ses critiques, d��rangeait une phrase pour y mettre un contre-sens que sa fille ?tait quand il ��tait parti; puis il reprenait sa promenade, ses courses, comme un homme qui a bien gagn�� sa journ��e, portant haut, marchant, son chapeau sous le bras, en fins escarpins, jouissant de lui-m��me, du ciel, des arbres, du Dieu de Rousseau, doux la nature et tendre aux plantes. De temps en temps des impatiences d'enfant et de vieillard le prenaient: il voulait tant de pages pour le lendemain, et il for?ait sa fille �� veiller une partie de la nuit.
Deux ou trois ans se pass��rent dans ce travail, o�� finirent par s'ab?mer les yeux de Sempronie. Elle vivait ensevelie dans le Vasari de son p��re, plus seule que jamais, ��loign��e par une native r��pugnance hautaine des bourgeoises de l'Isle-Adam et de leurs fa?ons �� la Mme Angot, trop mis��rablement v��tue pour aller dans les chateaux. Point de plaisir, point d'amusement pour elle qui ne f?t travers�� et tourment�� par les singularit��s et les taquineries de son p��re. Il arrachait les fleurs qu'elle plantait en cachette dans le jardinet. Il n'y voulait que des l��gumes et les cultivait lui-m��me en d��bitant de grandes th��ories utilitaires, des arguments qui auraient pu servir �� la Convention pour convertir les Tuileries en champ de pommes de terre. Tout ce qu'elle avait de bon, c'��tait de loin en loin une semaine pendant laquelle son p��re lui accordait la permission de recevoir une de ses deux jeunes amies, une semaine qui aurait ��t�� huit jours de paradis pour Sempronie, si son p��re n'en avait empoisonn�� les joies, les distractions, les f��tes, avec ses manies toujours mena?antes, ses humeurs toujours arm��es, des difficult��s �� propos d'un rien, d'un flacon d'eau de Cologne que Sempronie demandait pour la chambre de son amie, d'un entremets pour son d?ner, d'un endroit o�� elle voulait la mener.
�� l'Isle-Adam, M. de Varandeuil avait pris une domestique qui presque aussit?t ��tait devenue sa ma?tresse. De cette liaison un enfant ��tait n�� que le p��re, dans le cynisme de son insouciance, avait l'impudeur de faire ��lever sous les yeux de sa fille. Avec les ann��es, cette bonne avait pris pied dans la maison. Elle finissait par gouverner l'int��rieur, le p��re et la fille. Un jour arriva o�� M. de Varandeuil voulut la faire asseoir �� sa table, et la faire servir par Sempronie. C'en ��tait trop, Mlle de Varandeuil se r��volta sous l'outrage et se redressa de toute la hauteur de son indignation. Sourdement, silencieusement, dans le malheur, l'isolement, la duret�� des choses et des gens autour d'elle, la jeune fille s'��tait form��e une ame droite et forte; les larmes l'avaient tremp��e au lieu de l'amollir. Sous la docilit�� et l'humilit�� filiales, sous l'ob��issance passive, sous une douceur apparente, elle cachait un caract��re de fer, une volont�� d'homme, un de ces coeurs que rien ne plie et qui ne fl��chissent pas. �� la bassesse que son p��re exigeait d'elle, elle se releva sa fille, ramassa toute sa vie, lui en jeta, en un flot de paroles, la honte et le reproche �� la face, et finit en lui disant que si cette femme ne sortait pas de la maison le soir m��me, ce serait elle qui en sortirait, et que, Dieu merci! elle ne serait pas embarrass��e de vivre n'importe o��, avec les go?ts simples qu'il lui avait donn��s. Le p��re, stup��fait et tout abasourdi de la r��volte, c��dait et renvoyait la domestique, mais il gardait �� sa fille une lache rancune du sacrifice qu'elle lui avait arrach��. Son ressentiment se trahissait en mots aigres, en paroles agressives, en remerciements ironiques, en sourires d'amertume. Sempronie le soignait mieux, plus doucement, plus patiemment, pour toute vengeance. Une derni��re ��preuve attendait son d��vouement; le vieillard ��tait frapp�� d'une attaque d'apoplexie qui lui laissait tout un c?t�� du corps raidi et mort, une jambe boiteuse, l'intelligence endormie avec la conscience vivante de son malheur et de sa d��pendance vis-��-vis de sa fille. Alors, tout ce qu'il y avait de mauvais au fond de lui s'exasp��ra et se d��cha?na. Il eut des f��rocit��s d'��go?sme. Sous le tourment de sa souffrance et de sa faiblesse, il devint une
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 84
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.