elle que la femme de son costume et de l'ouvrage qu'elle faisait. Les yeux du p��re ne voulaient plus reconna?tre une fille sous l'habit et les basses occupations de cette servante. Ce n'��tait plus quelqu'un de son sang, quelqu'un qui avait l'honneur de lui appartenir: c'��tait une domestique qu'il avait l�� sous la main; et son ��go?sme se fortifiait si bien dans cette duret�� et cette id��e, il trouvait tant de commodit��s �� ce service filial, affectueux, respectueux, et ne co?tant rien, qu'il eut toutes les peines du monde y renoncer plus tard, quand un peu plus d'argent fit retour �� la maison: il fallut des batailles pour lui faire prendre une bonne qui rempla?at son enfant et ��pargnat �� la jeune fille les travaux les plus humiliants de la domesticit��.
On ��tait sans nouvelles de Mme de Varandeuil, qui s'��tait refus��e venir retrouver son mari �� Paris pendant les premi��res ann��es de la R��volution; bient?t l'on apprenait qu'elle s'��tait remari��e en Allemagne, en produisant comme l'acte de d��c��s de son mari l'acte de d��c��s de son beau-fr��re guillotin��, dont le pr��nom avait ��t�� chang��. La jeune fille grandit donc, abandonn��e, sans caresses, sans autre m��re qu'une femme morte �� tous les siens et dont son p��re lui enseignait le m��pris. Son enfance s'��tait pass��e dans une anxi��t�� de tous les instants, dans les privations qui rognent la vie, dans la fatigue d'un travail ��puisant ses forces d'enfant malingre, dans une attente de la mort qui devenait �� la fin une impatience de mourir: il y avait eu des heures o�� la tentation ��tait venue �� cette fille de treize ans de faire comme des femmes de ce temps, d'ouvrir la porte de l'h?tel et de crier dans la rue: Vive le Roi! pour en finir. Sa jeunesse continuait son enfance avec des ennuis moins tragiques. Elle avait �� subir les violences d'humeur, les exigences, les apret��s, les temp��tes de son p��re, un peu mat��es et contenues jusque-l�� par le grand orage du temps. Elle restait vou��e aux fatigues et aux humiliations d'une servante. Elle demeurait comprim��e et rabaiss��e, isol��e aupr��s de son p��re, ��cart��e de ses bras, de ses baisers, le coeur gros et douloureux de vouloir aimer et de n'avoir rien �� aimer. Elle commen?ait �� souffrir du vide et du froid que fait autour d'une femme une jeunesse qui n'attire pas et ne s��duit pas, une jeunesse d��sh��rit��e de beaut�� et de grace sympathique. Elle se voyait inspirer une esp��ce de commis��ration avec son grand nez, son teint jaune, sa s��cheresse, sa maigreur. Elle se sentait laide et d'une laideur pauvre dans ses mis��rables costumes, ses tristes robes de lainage qu'elle faisait elle-m��me et dont son p��re lui payait l'��toffe en rechignant: elle ne put obtenir de lui une petite pension pour sa toilette qu'�� l'age de trente-cinq ans.
Que de tristesses, que d'amertumes, que de solitude pour elle, dans cette vie avec ce vieillard morose, aigri, toujours grondant et bougonnant au logis, n'ayant d'amabilit�� que pour le monde, et qui la laissait tous les soirs pour aller dans les maisons rouvertes sous le Directoire et au commencement de l'Empire! �� peine s'il la sortait de loin en loin, et quand il la sortait, c'��tait toujours pour la mener cet ��ternel Vaudeville o�� il avait des loges. Encore sa fille avait-elle une terreur de ces sorties. Elle tremblait tout le temps qu'elle ��tait avec lui; elle avait peur de son caract��re si violent, du ton que ses col��res avaient gard�� de l'ancien r��gime, de sa facilit�� �� lever sa canne sur l'insolence de la canaille. Presque chaque fois, c'��taient des sc��nes avec le contr?leur, des prises de langue avec des gens du parterre, des menaces de coups de poing qu'elle arr��tait en faisant tomber dessus la grille de la loge. Cela continuait dans la rue, jusque dans le fiacre, avec le cocher qui ne voulait pas rouler pour le prix de M. de Varandeuil, le laissait attendre une heure, deux heures, sans marcher, parfois d'impatience d��telait et le laissait dans la voiture avec sa fille qui le suppliait vainement de c��der et de payer.
Jugeant que ces plaisirs devaient suffire �� Sempronie, jaloux d'ailleurs de l'avoir toute �� lui et toujours sous la main, M. de Varandeuil ne la laissait se lier avec personne. Il ne l'emmenait pas dans le monde; il ne la menait chez leurs parents revenus de l'��migration qu'aux jours de r��ception officielle et d'assembl��e de famille. Il la tenait li��e �� la maison: ce fut seulement �� quarante ans qu'il la jugea assez grande personne pour lui donner la permission de sortir seule. Ainsi nulle amiti��, nulle relation pour soutenir la jeune fille: elle n'avait plus m��me �� c?t�� d'elle son jeune fr��re parti pour les ��tats-Unis et engag�� au service de la marine am��ricaine.
Le mariage
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