le pain des trois bouches. Elle le gagna. Son petit corps maigre perdu dans un grand gilet de tricot �� son p��re, un bonnet de coton enfonc�� jusqu'aux yeux, les membres serr��s pour retenir un reste de chaleur, elle attendait en grelottant, les yeux meurtris de froid, au milieu des bousculades et des pouss��es, jusqu'au moment o�� la boulang��re de la rue des Francs-Bourgeois lui mettait dans les mains un pain que ses petits doigts, raides d'ongl��e, avaient peine �� saisir. �� la fin, cette pauvre petite fille qui revenait tous les jours, avec sa figure de souffrance et sa maigreur qui tremblait, apitoyait la boulang��re. Avec la bont�� d'un coeur de peuple, aussit?t que la petite apparaissait dans la longue queue, elle lui envoyait par son gar?on le pain qu'elle venait chercher. Mais un jour, comme la petite allait le prendre, une femme jalouse du passe-droit et de la pr��f��rence donnait �� l'enfant un coup de sabot qui la retint pr��s d'un mois au lit: Mlle de Varandeuil en porta la marque toute sa vie.
Pendant ce mois, la famille f?t morte de faim, sans une provision de riz qu'avait eue la bonne id��e de faire une de leurs connaissances, la comtesse d'Auteuil, et qu'elle voulut bien partager avec le p��re et les deux enfants.
M. de Varandeuil se sauvait ainsi du Tribunal r��volutionnaire, par l'obscurit�� d'une vie enterr��e. Il y ��chappait encore par les comptes de sa place qu'il devait rendre, et qu'il avait eu le bonheur de faire ajourner et remettre de mois en mois. Puis aussi, il repoussait la suspicion par des animosit��s personnelles contre de grands personnages de la cour, par des haines que beaucoup de serviteurs de princes avaient puis��es aupr��s des fr��res du Roi contre la Reine. Toutes les fois qu'il avait eu occasion de parler de la malheureuse femme, il avait eu des paroles violentes, am��res, injurieuses, d'un accent si passionn�� et si sinc��re qu'elles lui avaient presque donn�� l'apparence d'un ennemi de la royaut��; en sorte que ceux pour lesquels il n'��tait que le citoyen Roulot le regardaient comme un patriote, et que ceux qui le connaissaient sous son ancien nom, l'excusaient presque d'avoir ��t�� ce qu'il avait ��t��: un noble, l'ami d'un prince du sang, et un homme en place.
La R��publique en ��tait aux soupers patriotiques, �� ces repas de toute une rue dans la rue, dont Mlle de Varandeuil, dans ses souvenirs brouill��s qui m��laient leurs terreurs, voyait les tables rue Pav��e, le pied dans le ruisseau de sang de Septembre sorti de la Force! Ce fut un de ces soupers que M. de Varandeuil eut une invention qui acheva de lui assurer la vie sauve. Il raconta �� deux de ses voisins de table, chauds patriotes, dont l'un ��tait li�� avec Chaumette, qu'il se trouvait dans un grand embarras, que sa fille n'avait ��t�� qu'ondoy��e, qu'elle manquait d'��tat civil, qu'il serait bien heureux si Chaumette voulait la faire inscrire sur les registres de la municipalit�� et l'honorer d'un nom choisi par lui dans le calendrier r��publicain de la Gr��ce ou de Rome. Chaumette fixait bient?t un rendez-vous �� ce p��re qui ��tait ?si bien �� la hauteur,? comme on disait alors. S��ance tenante, on faisait entrer Mlle de Varandeuil dans un cabinet o�� elle trouvait deux matrones charg��es de s'assurer de son sexe, et auxquelles elle montrait sa poitrine. On la ramenait alors dans la grande salle des D��clarations, et l��, apr��s une allocution m��taphorique, Chaumette la baptisait _Sempronie_; un nom que l'habitude devait conserver �� Mlle de Varandeuil et qu'elle ne quitta plus.
Un peu couverte et rassur��e par l��, la famille traversa les terribles jours qui pr��c��d��rent la chute de Robespierre. Enfin arrivait le 9 Thermidor et la d��livrance. Mais la pauvret�� restait grande et pressante au logis. On n'avait v��cu tout ce dur temps de la R��volution, on n'allait vivre tout le mis��rable temps du Directoire qu'avec une ressource bien inattendue, un argent de Providence envoy�� par la Folie. Les deux enfants et le p��re n'avaient gu��re subsist�� qu'avec le revenu de quatre actions du Vaudeville, un placement que M. de Varandeuil avait eu l'inspiration de faire en 1791 et qui se trouva ��tre la meilleure affaire de ces ann��es de mort o�� l'on avait besoin d'oublier la mort tous les soirs, de ces jours supr��mes o�� chacun voulait rire de son dernier rire �� la derni��re chanson. Bient?t ces actions, se joignant au recouvrement de quelques cr��ances, donn��rent mieux que du pain �� la famille. La famille sortait alors des combles de l'h?tel du Petit-Charolais et prenait un petit appartement dans le Marais, rue du Chaume.
Du reste, rien n'��tait chang�� aux habitudes de l'int��rieur. La fille continuait �� servir son p��re et son fr��re. M. de Varandeuil s'��tait peu �� peu accoutum�� �� ne plus voir en
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