Germinal | Page 5

Emile Zola
instant suffoqu�� par une nouvelle crise, d'une telle violence, qu'il ne pouvait reprendre haleine. Enfin, quand il eut crach�� et essuy�� l'��cume noire de ses l��vres, il dit, dans le vent qui redoublait:
--Hein? �� qui tout ?a?... On n'en sait rien. A des gens.
Et, de la main, il d��signait dans l'ombre un point vague, un lieu ignor�� et recul��, peupl�� de ces gens, pour qui les Maheu tapaient �� la veine depuis plus d'un si��cle. Sa voix avait pris une sorte de peur religieuse, c'��tait comme s'il e?t parl�� d'un tabernacle inaccessible, o�� se cachait le dieu repu et accroupi, auquel ils donnaient tous leur chair, et qu'ils n'avaient jamais vu.
--Au moins si l'on mangeait du pain �� sa suffisance! r��p��ta pour la troisi��me fois ��tienne, sans transition apparente.
--Dame, oui! si l'on mangeait toujours du pain, ce serait trop beau!
Le cheval ��tait parti, le charretier disparut �� son tour, d'un pas tra?nard d'invalide. Pr��s du culbuteur, le manoeuvre n'avait point boug��, ramass�� en boule, enfon?ant le menton entre ses genoux, fixant sur le vide ses gros yeux ��teints.
Quand il eut repris son paquet, ��tienne ne s'��loigna pas encore. Il sentait les rafales lui glacer le dos, pendant que sa poitrine br?lait, devant le grand feu. Peut-��tre, tout de m��me, ferait-il bien de s'adresser �� la fosse: le vieux pouvait ne pas savoir; puis, il se r��signait, il accepterait n'importe quelle besogne. O�� aller et que devenir, �� travers ce pays affam�� par le ch?mage? laisser derri��re un mur sa carcasse de chien perdu? Cependant, une h��sitation le troublait, une peur du Voreux, au milieu de cette plaine rase, noy��e sous une nuit si ��paisse. A chaque bourrasque, le vent paraissait grandir, comme s'il e?t souffl�� d'un horizon sans cesse ��largi. Aucune aube ne blanchissait dans le ciel mort, les hauts fourneaux seuls flambaient, ainsi que les fours �� coke, ensanglantant les t��n��bres, sans en ��clairer l'inconnu. Et le Voreux, au fond de son trou, avec son tassement de b��te m��chante, s'��crasait davantage, respirait d'une haleine plus grosse et plus longue, l'air g��n�� par sa digestion p��nible de chair humaine.

II
Au milieu des champs de bl�� et de betteraves, le coron des Deux-Cent-Quarante dormait sous la nuit noire. On distinguait vaguement les quatre immenses corps de petites maisons adoss��es, des corps de caserne ou d'h?pital, g��om��triques, parall��les, que s��paraient les trois larges avenues, divis��es en jardins ��gaux. Et, sur le plateau d��sert, on entendait la seule plainte des rafales, dans les treillages arrach��s des cl?tures.
Chez les Maheu, au num��ro 16 du deuxi��me corps, rien ne bougeait. Des t��n��bres ��paisses noyaient l'unique chambre du premier ��tage, comme ��crasant de leur poids le sommeil des ��tres que l'on sentait l��, en tas, la bouche ouverte, assomm��s de fatigue. Malgr�� le froid vif du dehors, l'air alourdi avait une chaleur vivante, cet ��touffement chaud des chambr��es les mieux tenues, qui sentent le b��tail humain.
Quatre heures sonn��rent au coucou de la salle du rez-de-chauss��e, rien encore ne remua, des haleines gr��les sifflaient, accompagn��es de deux ronflements sonores. Et, brusquement, ce fut Catherine qui se leva. Dans sa fatigue, elle avait, par habitude, compt�� les quatre coups du timbre, �� travers le plancher, sans trouver la force de s'��veiller compl��tement. Puis, les jambes jet��es hors des couvertures, elle tatonna, frotta enfin une allumette et alluma la chandelle. Mais elle restait assise, la t��te si pesante, qu'elle se renversait entre les deux ��paules, c��dant au besoin invincible de retomber sur le traversin.
Maintenant, la chandelle ��clairait la chambre, carr��e, �� deux fen��tres, que trois lits emplissaient. Il y avait une armoire, une table, deux chaises de vieux noyer, dont le ton fumeux tachait durement les murs, peints en jaune clair. Et rien autre, des hardes pendues �� des clous, une cruche pos��e sur le carreau, pr��s d'une terrine rouge servant de cuvette. Dans le lit de gauche, Zacharie, l'a?n��, un gar?on de vingt et un ans, ��tait couch�� avec son fr��re Jeanlin, qui achevait sa onzi��me ann��e; dans celui de droite, deux mioches, L��nore et Henri, la premi��re de six ans, le second de quatre, dormaient aux bras l'un de l'autre; tandis que Catherine partageait le troisi��me lit avec sa soeur Alzire, si ch��tive pour ses neuf ans, qu'elle ne l'aurait m��me pas sentie pr��s d'elle, sans la bosse de la petite infirme qui lui enfon?ait les c?tes. La porte vitr��e ��tait ouverte, on apercevait le couloir du palier, l'esp��ce de boyau o�� le p��re et la m��re occupaient un quatri��me lit, contre lequel ils avaient d? installer le berceau de la derni��re venue, Estelle, ag��e de trois mois �� peine.
Cependant, Catherine fit un effort d��sesp��r��. Elle s'��tirait, elle crispait ses deux mains dans ses cheveux roux, qui lui embroussaillaient le front et la nuque. Fluette pour ses quinze ans, elle ne montrait de ses membres, hors du fourreau
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