Germaine | Page 7

Edmond About
partout comme un charmant homme de bien. Il ignore les
premiers éléments du charlatanisme, parle fort peu de ses succès, et
abandonne à ses malades le soin de dire qu'il les a guéris. Son
appartement n'est pas un temple. Il loge au quatrième étage, dans un
quartier perdu. Est-ce modestie? est-ce coquetterie? On ne sait. Les
pauvres gens de son quartier ne se plaignent pas d'un tel voisinage: il
les soigne avec tant d'application qu'il oublie quelquefois sa bourse au
chevet de leur lit.
M. Le Bris était depuis trois ans le médecin de Mlle de La Tour
d'Embleuse. Il avait suivi les progrès de la maladie sans pouvoir rien
faire pour les arrêter. Ce n'était pas que Germaine fût une de ces enfants
condamnées dès leur naissance, qui portent en elles le germe d'une mort
héréditaire. Sa constitution était robuste, sa poitrine large, et sa mère
n'avait jamais toussé. Un rhume négligé, une chambre froide, la
privation des choses nécessaires à la vie avaient causé tout le mal. Peu
à peu, malgré les soins du docteur, la pauvre fille avait pâli comme une
statue de cire; ses forces s'en étaient allées; l'appétit, la gaieté, le souffle,
la joie de respirer l'air liquide, tout lui manquait. Six mois avant le

début de cette histoire, M. Le Bris avait réuni deux grands médecins
auprès de la malade. Elle pouvait encore être sauvée: il lui restait un
poumon, et la nature se contente à moins. Mais il fallait l'emmener sans
retard en Égypte ou en Italie.
«Oui, dit le jeune docteur, la seule ordonnance à faire est celle-ci: une
maison de campagne au bord de l'Arno, une vie calme et des rentes.
Mais voyez!»
Il désigna du doigt les rideaux déchirés, les chaises de paille et le
carreau rouge du salon.
«Voici qui la condamne à mort!»
Au mois de janvier, le dernier poumon était entamé; le sacrifice
s'accomplissait. Le docteur avait reporté ses soins sur la duchesse. Son
dernier espoir était d'endormir doucement la fille et de sauver la mère.
Il fit sa visite à Germaine, lui tâta le pouls pour la forme, lui offrit une
boîte de bonbons, la baisa fraternellement au front, et passa chez M. de
La Tour d'Embleuse.
Le duc était encore au lit. Sa figure n'était pas faite et il portait ses
soixante-trois ans.
«Eh bien! beau docteur, dit-il en riant aux éclats, quelle année nous
apportez-vous? La Fortune voudra-t-elle enfin de moi? Ah! friponne, si
jamais je te tiens! Vous êtes témoin, docteur, que je l'attends dans mon
lit.
--Monsieur le duc, répondit le docteur, puisque nous sommes seuls
ensemble, nous pouvons causer de choses sérieuses. Je ne vous ai pas
caché l'état de mademoiselle votre fille.»
Le duc fit une petite moue sentimentale et dit: «Vraiment, docteur, il
n'y a plus rien à espérer? Pas de fausse modestie: vous êtes capable d'un
miracle!»

M. Le Bris hocha tristement la tête. «Tout ce qui est en mon pouvoir,
reprit-il, est d'adoucir ses derniers jours.
--Pauvre petite! Figurez-vous, cher docteur, qu'elle tousse à me
réveiller toutes les nuits. Elle doit souffrir cruellement, quoiqu'elle s'en
défende. S'il n'y a plus aucun espoir, sa dernière heure sera une heure
de délivrance.
--Ce n'est pas tout ce que j'avais à vous dire, et pardonnez-moi si je
commence l'année par de tristes nouvelles.»
Le duc se leva sur son séant: «Quoi donc? Vous me faites peur!
--Mme la duchesse m'inquiète depuis quelques mois.
--Ah! pour le coup, docteur, vous abusez des mauvais augures. La
duchesse, grâce à Dieu, est en bon point, et je voudrais me porter
comme elle.»
Le docteur entra dans des détails qui abattirent l'insouciance et la
légèreté du vieillard. Il se vit seul sur la terre, et un frisson le saisit. Sa
voix baissa d'un ton; il s'attacha à la main du docteur comme un noyé à
la dernière branche. «Mon ami, lui dit-il, sauvez-moi! Je veux dire,
sauvez la duchesse! Je n'ai plus qu'elle au monde. Qu'est-ce que je
deviendrais? C'est un ange, mon ange gardien! Dites-moi ce qu'il faut
faire pour la guérir. J'obéirai en esclave.
--Monsieur le duc, il faut à Mme la duchesse une vie calme et facile,
sans émotions et surtout sans privations; un régime doux, des aliments
choisis et variés, une maison confortable, une bonne voiture....
--Et la lune, n'est-ce pas? cria le duc avec impatience. Je vous croyais
plus d'esprit, docteur, et de meilleurs yeux. Voiture! maison! une bonne
nourriture! Allez me les chercher si vous voulez que je les lui donne!»
Le docteur répondit sans se troubler: «Je vous les apporte, monsieur le
duc, et vous n'avez qu'à prendre.»

Les yeux du vieillard s'écarquillèrent comme ceux d'un chat qui passe à
l'ombre. «Parlez donc! cria-t-il. Vous me retournez sur le gril!
--Avant de rien vous dire, monsieur le duc, j'ai besoin
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