Germaine | Page 5

Edmond About
raccommodage se paye comptant. Il est quelquefois plus facile d'acheter une montre que d'acheter un chou. La duchesse avait chez quelques fournisseurs un restant de cr��dit qu'elle m��nageait avec un soin religieux; mais quant �� l'argent, elle ne savait o�� le prendre. Le duc de La Tour d'Embleuse ne poss��dait plus d'amis: il les avait d��pens��s comme le reste de sa fortune. Tel camarade de coll��ge nous aime jusqu'�� concurrence de mille francs; tel compagnon de plaisir est homme �� nous pr��ter cent louis; tel voisin charitable repr��sente une valeur de mille ��cus. Pass�� un certain chiffre, le pr��teur est d��gag�� de tous les devoirs de l'amiti��: il n'a rien �� se reprocher; il a bien fait les choses; il ne vous doit plus rien; il a le droit de d��tourner les yeux lorsqu'il vous rencontre et de d��fendre sa porte quand vous entrez chez lui. Les amies de la duchesse s'��taient d��tach��es d'elle l'une apr��s l'autre. L'amiti�� des femmes est assur��ment plus chevaleresque que celle des hommes; mais dans l'un et l'autre sexe on n'a d'affection durable que pour ses ��gaux. On ��prouve un plaisir d��licat �� gravir deux ou trois fois un escalier difficile et �� s'asseoir en grande toilette aupr��s d'un grabat, mais il est peu d'ames assez h��ro?ques pour vivre famili��rement avec le malheur d'autrui. Les plus ch��res amies de la pauvre femme, celles qui l'appelaient Marguerite, avaient senti leur coeur se refroidir dans cet appartement sans tapis et sans feu; elles n'y venaient plus. Lorsqu'on leur parlait de la duchesse, elles faisaient son ��loge, elles la plaignaient sinc��rement, elles disaient: ?Nous nous aimons toujours, mais nous ne nous voyons presque jamais. C'est la faute de son mari!?
Dans ce d��laissement lamentable, la duchesse avait eu recours au dernier ami des malheureux, au cr��ancier qui pr��te �� gros int��r��t, mais sans objection et sans reproche. Le mont-de-pi��t�� gardait ses bijoux, ses fourrures, ses dentelles, le meilleur de son linge et de sa garde-robe, et l'avant-dernier matelas de son lit. Elle avait tout engag�� sous les yeux du vieux duc, qui regardait partir une �� une toutes les pi��ces de son mobilier, et leur souhaitait gaiement un bon voyage. Cet incompr��hensible vieillard vivait dans sa maison comme Louis XV dans son royaume, sans souci de l'avenir, et disant: ?Apr��s moi le d��luge!? Il se levait tard, d��jeunait de bon app��tit, passait une heure �� sa toilette, teignait ses cheveux, platrait ses rides, mettait du rouge, polissait ses ongles, et promenait ses graces dans Paris jusqu'�� l'heure du d?ner. Il ne s'��tonnait point de voir un bon repas sur la table, et il ��tait trop discret pour demander �� sa femme o�� elle l'avait trouv��. Si la pitance ��tait maigre, il en faisait son deuil, et souriait �� la mauvaise fortune comme autrefois �� la bonne. Lorsque Germaine commen?a �� tousser, il la plaisanta agr��ablement sur cette mauvaise habitude. Il fut longtemps sans voir qu'elle d��p��rissait. Le jour o�� il s'en aper?ut, il ��prouva une vive contrari��t��.
Quand le docteur lui annon?a que la pauvre enfant ne pouvait ��tre sauv��e que par miracle. Il l'appela m��decin Tant-Pis, et dit en se frottant les mains: ?Allons, allons, cela ne sera rien!? Il ne savait pas bien lui-m��me s'il prenait ces airs d��gag��s pour rassurer sa famille, ou si sa l��g��ret�� naturelle l'emp��chait de sentir la douleur. Sa femme et sa fille l'adoraient tel qu'il ��tait. Il traitait la duchesse avec la m��me galanterie qu'au lendemain du mariage, et il faisait sauter Germaine sur ses genoux. La duchesse ne le soup?onna jamais d'��tre la cause de sa ruine; elle voyait en lui, depuis vingt-trois ans, un homme parfait; elle prenait son indiff��rence pour du courage et de la fermet��; elle esp��rait en lui, malgr�� tout, et le croyait capable de relever sa maison par un coup de fortune.
Germaine avait quatre mois �� vivre, au sentiment du docteur Le Bris. Elle devait tomber aux premiers jours du printemps; les lilas blancs auraient le temps de fleurir sur sa tombe. Elle pressentait sa destin��e et jugeait son ��tat avec une clairvoyance bien rare chez les phthisiques. Peut-��tre m��me avait-elle soup?on du mal qui minait sa m��re. Elle couchait �� c?t�� de la duchesse, et dans ses longues nuits d'insomnie elle s'effrayait quelquefois du sommeil haletant de sa ch��re garde-malade. ?Quand je serai morte, pensait-elle, maman me suivra de pr��s. Nous ne nous quitterons pas pour longtemps. Mais que deviendra mon p��re??
Tous les soucis, toutes les privations, toutes les douleurs physiques et morales habitaient ce petit coin de l'h?tel Sangli��; et dans Paris o�� la mis��re abonde, il n'y avait peut-��tre pas une famille plus compl��tement mis��rable que celle de La Tour d'Embleuse, qui poss��dait pour derni��re ressource un anneau de mariage.
La duchesse courut d'abord �� la succursale du mont-de-pi��t�� qui est situ��e dans la
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