Georges | Page 8

Alexandre Dumas, père
bâtiment à flot et
de s'en aller, à bout portant, écraser la Néréide de toute son artillerie;
son feu ne cessera cette fois que lorsque la frégate sera bien morte.
Roussin suit à la lettre l'ordre donné: le Victor déploie son foc et ses
grands huniers, s'ébranle et vient, sans tirer un seul coup de canon, jeter
l'ancre à vingt pas de la poupe de la Néréide; puis, de là, il commence
son feu, auquel elle ne peut répondre que par ses pièces de chasse,
l'enfilant de bout en bout à chaque bordée. Au point du jour, la frégate
se tait de nouveau. Cette fois elle est bien morte et cependant le
pavillon anglais flotte toujours à sa corne. Elle est morte, mais elle n'a
pas amené.
En ce moment, les cris de «Vive l'empereur!» retentissent sur la
Néréide;--les dix-sept prisonniers français qu'elle a faits dans l'île de la
Passe, et qu'elle a enfermés à fond de cale, brisent la porte de leur
prison et s'élancent par les écoutilles, un drapeau tricolore à la main.
L'étendard de la Grande-Bretagne est battu, la bannière tricolore flotte à
sa place. Le lieutenant Roussin donne l'ordre d'aborder; mais, au
moment où il va engager les grappins, l'ennemi dirige son feu sur la

Néréide, qui lui échappe. C'est une lutte inutile à soutenir; la Néréide
n'est plus qu'un ponton, sur lequel on mettra la main aussitôt que les
autres bâtiments seront réduits; le Victor laisse flotter la frégate comme
le cadavre d'une baleine morte; il embarque les dix-sept prisonniers, va
reprendre son rang de bataille, et annonce aux Anglais, en faisant feu
de toute sa batterie, qu'il est revenu à son poste.
L'ordre avait été donné à tous les bâtiments français de diriger leur feu
sur La Magicienne, le capitaine Bouvet voulait écraser les frégates
ennemies l'une après l'autre; vers trois heures de l'après-midi, La
Magicienne était devenue le but de tous les coups; à cinq heures, elle ne
répondait plus à notre feu que par secousses et ne respirait que comme
respire un ennemi blessé à mort; à six heures on s'aperçoit de terre que
son équipage fait tous ses préparatifs pour l'évacuer: des cris d'abord, et
des signaux ensuite, en avertissent la division française; le feu redouble;
les deux autres frégates ennemies lui envoient leurs chaloupes,
elle-même met ses canots à la mer; ce qui reste d'hommes sans blessure
ou blessés légèrement y descend; mais, dans l'intervalle qu'elles ont à
franchir pour gagner le Syrius, deux chaloupes sont coulées bas par les
boulets, et la mer se couvre d'hommes qui gagnent en nageant les deux
frégates voisines.
Un instant après, une légère fumée sort par les sabords de La
Magicienne; puis, de moment en moment, elle devient plus épaisse;
alors, par les écoutilles, on voit poindre des hommes blessés qui se
traînent, qui lèvent leurs bras mutilés, qui appellent au secours, car déjà
la flamme succède à la fumée, et darde par toutes les ouvertures du
bâtiment ses langues ardentes, puis elle s'élance au dehors, rampe le
long des bastingages, monte aux mâts, enveloppe les vergues, et, au
milieu de cette flamme, on entend des cris de rage et d'agonie; puis
enfin tout à coup le vaisseau s'ouvre comme le cratère d'un volcan qui
se déchire. Une détonation effroyable se fait entendre: La Magicienne
vole en morceaux. On suit quelque temps ses débris enflammés, qui
montent dans les airs, redescendent et viennent s'éteindre en frissonnant
dans les flots. De cette belle frégate qui, la veille encore, se croyait la
reine de l'Océan, il ne reste plus rien, pas même des débris, pas même
des blessés, pas même des morts. Un grand intervalle, demeuré vide

entre la Néréide et l'Iphigénie, indique seul la place où elle était.
Puis, comme fatigués de la lutte, comme épouvantés du spectacle,
Anglais et Français firent silence, et le reste de la nuit fut consacré au
repos.
Mais, au point du jour, le combat recommence. C'est le Syrius, à son
tour, que la division française a choisi pour victime. C'est le Syrius que
le quadruple feu du Victor, de la Minerve, de la Bellone et du Ceylan va
écraser. C'est sur lui que se réunissent boulets et mitraille. Au bout de
deux heures, il n'a plus un seul mât; sa muraille est rasée, l'eau entre
dans sa carène par vingt blessures: s'il n'était échoué, il coulerait à fond.
Alors son équipage l'abandonne à son tour; le capitaine le quitte le
dernier. Mais comme à bord de La Magicienne, le feu est demeuré là,
une mèche le conduit à la sainte-barbe, et, à onze heures du matin, une
détonation effroyable se fait entendre, et le Syrius disparaît anéanti!
Alors l'Iphigénie, qui a combattu sur ses ancres, comprend qu'il n'y a
plus de lutte possible. Elle reste seule contre quatre bâtiments; car,
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