hommes à peu près, et cent quarante-deux bouches
à feu. Mais comme, aussitôt leur répartition, le capitaine Duperré a fait
échouer la division, et que chaque vaisseau présente son travers, la
moitié seulement des canons prendront part à la fête sanglante qui se
prépare.
À deux heures de l'après-midi, les frégates La Magicienne et l'Iphigénie
parurent à leur tour à l'entrée de la passe; elles rallièrent le Syrius et la
Néréide, et toutes quatre s'avancèrent contre nous. Deux se firent
échouer, les deux autres s'amarrèrent sur leurs ancres, présentant un
total de dix-sept cents hommes et de deux cents canons.
Ce fut un moment solennel et terrible que celui pendant lequel les dix
mille spectateurs qui garnissaient les montagnes virent les quatre
frégates ennemies s'avancer sans voiles et par la seule et lente
impulsion du vent dans leurs agrès, et venir, avec la confiance que leur
donnait la supériorité du nombre, se ranger à demi-portée du canon de
la division française, présentant à leur tour leur travers, s'échouant
comme nous nous étions fait échouer, et renonçant d'avance à la fuite,
comme d'avance nous y avions renoncé.
C'était donc un combat tout d'extermination qui allait commencer; lions
et léopards étaient en présence, et ils allaient se déchirer avec des dents
de bronze et des rugissements de feu.
Ce furent nos marins qui, moins patients que ne l'avaient été les
gardes-françaises à Fontenoy, donnèrent le signal du carnage. Une
longue traînée de fumée courut aux flancs des quatre vaisseaux, à la
corne desquels flottait un pavillon tricolore; puis en même temps le
rugissement de soixante-dix bouches à feu retentit, et l'ouragan de fer
s'abattit sur la flotte anglaise.
Celle-ci répondit presque aussitôt, et alors commença, sans autre
manoeuvre que celle de déblayer les ponts des éclats de bois et des
corps expirants, sans autre intervalle que celui de charger les canons,
une de ces luttes d'extermination comme, depuis Aboukir et Trafalgar,
les fastes de la marine n'en avaient pas encore vu. D'abord, on put
croire que l'avantage était aux ennemis; car les premières volées
anglaises avaient coupé les embossures de la Minerve et du Ceylan; de
sorte que, par cet accident, le feu de ces deux navires se trouva masqué
en grande partie. Mais, sous les ordres de son capitaine, la Bellone fit
face à tout, répondant aux quatre bâtiments à la fois, ayant des bras, de
la poudre et des boulets pour tous; vomissant incessamment le feu,
comme un volcan en éruption, et cela pendant deux heures c'est-à-dire
pendant le temps que le Ceylan et la Minerve mirent à réparer leurs
avaries: après quoi, comme impatients de leur inaction, ils se reprirent à
rugir et à mordre à leur tour, forçant l'ennemi, qui s'était détourné un
instant d'eux pour écraser la Bellone, de revenir à eux, et rétablissant
l'unité du combat sur toute la ligne.
Alors il sembla au capitaine Duperré que la Néréide, déjà meurtrie par
trois bordées que la division lui avait lâchées en forçant la passe,
ralentissait son feu. L'ordre fut donné aussitôt de diriger toutes les
volées sur elle et de ne lui donner aucun relâche. Pendant une heure, on
l'écrasa de boulets et de mitraille, croyant à chaque instant qu'elle allait
amener son pavillon; puis comme elle ne l'amenait pas, la grêle de
bronze continua, fauchant ses mâts, balayant son pont, trouant sa carène,
jusqu'à ce que son dernier canon s'éteignît, pareil à un dernier soupir, et
qu'elle demeurât rasée comme un ponton dans l'immobilité et dans le
silence de la mort.
En ce moment, et comme le capitaine Duperré donnait un ordre à son
lieutenant Roussin, un éclat de mitraille l'atteint à la tête et le renverse
dans la batterie; comprenant qu'il est blessé dangereusement, à mort
peut-être, il fait appeler le capitaine Bouvet lui remet le commandement
de la Bellone, lui ordonne de faire sauter les quatre bâtiments plutôt que
de les rendre, et, cette dernière recommandation faite, lui tend la main
et s'évanouit. Personne ne s'aperçoit de cet événement; Duperré n'a pas
quitté la Bellone, puisque Bouvet le remplace.
À dix heures, l'obscurité est si grande, qu'on ne peut plus pointer, et
qu'il faut tirer au hasard. À onze heures, le feu cesse; mais comme les
spectateurs comprennent que ce n'est qu'une trêve ils restent à leur
poste. En effet, à une heure, la lune paraît, et, avec elle et à sa pâle
lumière, le combat recommence.
Pendant ce moment de relâche, la Néréide a reçu quelques renforts;
cinq ou six de ses pièces ont été remises en batterie; la frégate qu'on a
crue morte n'était qu'à l'agonie, elle reprend ses sens, et elle donne
signe de vie en nous attaquant de nouveau.
Alors Bouvet fait passer le lieutenant Roussin à bord du Victor, dont le
capitaine est blessé; Roussin a l'ordre de remettre le
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