sur une chasse de gladiateurs ou sur un combat de martyrs.
Seulement, cette fois, l'arène était un vaste port tout environné d'écueils,
où les combattants s'étaient fait échouer pour ne pas reculer quand
même, et pouvoir, dégagés du soin embarrassant de la manoeuvre, se
déchirer à leur aise; seulement, pour mettre fin à cette naumachie
terrible, il n'y avait pas de vestales au pouce levé; c'était, on le
comprenait bien, une lutte d'extermination, un combat mortel; aussi les
dix mille spectateurs qui y assistaient gardaient-ils un anxieux silence;
aussi la mer, si souvent grondeuse dans ces parages, se taisait-elle
elle-même pour qu'on ne perdît pas un mugissement de ces trois cents
bouches à feu.
Voici ce qui était arrivé:
Le 20 au matin, le capitaine de frégate Duperré, venant de Madagascar
monté sur la Bellone, et suivi de la Minerve, du Victor, du Ceylan et du
Windham, avait reconnu les montagnes du Vent, de l'île de France.
Comme trois combats précédents, dans lesquels il avait été
constamment vainqueur, avaient amené de graves avaries dans sa flotte,
il avait résolu d'entrer dans le grand port et de s'y radouber; c'était
d'autant plus facile que, comme on le sait, l'île, à cette époque, était
encore toute à nous, et que le pavillon tricolore, flottant sur le fort de
l'île de la Passe et sur son trois-mâts mouillé à ses pieds, donnait au
brave marin l'assurance d'être reçu par des amis. En conséquence, le
capitaine Duperré ordonna de doubler l'île de la Passe, située à deux
lieues à peu près en avant de Mahebourg, et, pour exécuter cette
manoeuvre, ordonna que la corvette Victor passerait la première; que la
Minerve, le Ceylan et la Bellone la suivraient, et que le Windham
fermerait la marche. La flottille s'avança donc, chaque bâtiment venant
à la suite de l'autre, le peu de largeur du goulet ne permettant pas à
deux vaisseaux de passer de front.
Lorsque le Victor ne fut plus qu'à une portée de canon du trois-mâts
embossé sous le fort, ce dernier indiqua par ses signaux que les Anglais
croisaient en vue de l'île. Le capitaine Duperré répondit qu'il le savait
parfaitement, et que la flotte qu'on avait aperçue se composait de La
Magicienne, de la Néreide, du Syrius et de l'Iphigénie, commandés par
le commodore Lambert; mais que, comme, de son côté, le capitaine
Hamelin stationnait sous le vent de l'île avec L'Entreprenant, La
Manche, l'Astrée, on était en force pour accepter le combat si l'ennemi
le présentait.
Quelques secondes après, le capitaine Bouvet, qui marchait le second,
crut remarquer des dispositions hostiles dans le bâtiment qui venait de
faire des signaux. D'ailleurs, il avait beau l'examiner dans tous ses
détails avec le coup d'oeil perçant qui trompe si rarement le marin, il ne
le reconnaissait pas pour appartenir à la marine française. Il fit part de
ses observations au capitaine Duperré, qui lui répondit de prendre ses
précautions, et que lui allait prendre les siennes. Quant au Victor, il fut
impossible de le renseigner; il était trop en avant, et tout signe qu'on lui
eût fait eût été vu du fort et du vaisseau suspect.
Le Victor continuait donc de s'avancer sans défiance, poussé par une
jolie brise du sud-est, ayant tout son équipage sur le pont, tandis que les
deux bâtiments qui le suivent regardent avec anxiété les mouvements
du trois-mâts et du fort; tous deux cependant conservent encore des
apparences amies; les deux navires qui se trouvent au travers l'un de
l'autre échangent même quelques paroles. Le Victor continue son
chemin; il a déjà dépassé le fort, quand tout à coup une ligne de fumée
apparaît aux flancs du bâtiment embossé et au couronnement du fort.
Quarante-quatre pièces de canon tonnent à la fois, enfilant de biais la
corvette française, trouant sa voilure, fouillant son équipage, brisant
son petit hunier, tandis qu'en même temps les couleurs françaises
disparaissent du fort et du trois-mâts et font place au drapeau anglais.
Nous avons été dupes de la supercherie; nous sommes tombés dans le
piège.
Mais, au lieu de rebrousser chemin, ce qui lui serait possible encore en
abandonnant la corvette qui lui sert de mouche, et qui, revenue de sa
surprise, répond au feu du trois-mâts par celui de ses deux pièces de
chasse, le capitaine Duperré fait un signal au Windham, qui reprend la
mer, et ordonne à la Minerve et au Ceylan de forcer la passe. Lui-même
les soutiendra, tandis que le Windham ira prévenir le reste de la flotte
française de la position où se trouvent les quatre bâtiments.
Alors les navires continuent de s'avancer, non plus avec la sécurité du
Victor, mais mèche allumée, chaque homme à son poste, et dans ce
profond silence qui précède toujours les grandes crises. Bientôt la
Minerve se trouve bord à bord avec le
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