George Sand et ses amis | Page 8

Abert le Roy
Elle est réparable,
elle comporte le pardon, et, au demeurant, le ton qu'on a vu chez lui ne

justifie nullement les douloureux présages que madame Dupin avait
conçus. Comme beaucoup de belles-mères, elle espérait que son fils
serait malheureux et lui reviendrait. Il n'en était rien. Maurice n'avait
d'autre souci immédiat que de chercher les voies d'une réconciliation
malaisée. Il finit par les découvrir, sous une forme assez romanesque
qui fut couronnée de succès. Madame Dupin était venue secrètement à
Paris, afin de consulter M. de Sèze et deux autres avocats célèbres sur
la validité du mariage. Ils déclarèrent l'affaire neuve, comme toutes
celles du même genre qui découlaient de la législation civile
récemment mise en vigueur; mais ils estimèrent que le mariage avait
toutes chances d'être reconnu valable par les tribunaux, partant la
naissance d'être proclamée légitime.
Sur ces entrefaites, Maurice, informé du voyage de sa mère, prit la
petite Aurore dans ses bras et chargea la portière de monter avec
l'enfant chez madame Dupin, en lui disant: «Voyez donc, madame, la
jolie petite fille dont je suis grand'mère! Sa nourrice me l'a apportée
aujourd'hui, et j'en suis si heureuse que je ne peux pas m'en séparer un
instant.» Tout en bavardant, elle déposa le bébé sur les genoux de la
vieille dame qui cherchait sa bonbonnière. Soudain un soupçon traversa
l'esprit de madame Dupin. Elle s'écria: «Vous me trompez, cette enfant
n'est pas à vous; ce n'est pas à vous qu'elle ressemble... Je sais, je sais
ce que c'est.» Et elle repoussait la petite Aurore qui, effrayée, se mit à
verser des larmes. La portière s'apprêtait à reprendre et à emporter
l'enfant. La grand'mère fut vaincue. Lorsqu'elle sut que son fils était en
bas, elle le fit appeler. C'était le pardon. Quand ils se retirèrent, Aurore
avait dans la main une bague de rubis que madame Dupin envoyait à sa
belle-fille: George Sand a toujours porté cette bague. Quelques
semaines plus tard, la réconciliation fut complète. La châtelaine de
Nohant consentit à recevoir l'humble modiste qui s'était introduite dans
la famille; elle assista au mariage religieux, ainsi qu'au repas qui suivit.
Aussitôt après, elle regagna son manoir berrichon.
Le jeune ménage s'était installé dans un étroit appartement de la rue
Grange Batelière. Bientôt Maurice fut obligé de rejoindre son régiment
pour la campagne d'Ulm, et sa femme demeura à Paris avec ses deux
enfants, la petite Aurore et son aînée Caroline, qui n'était pas la fille de

Maurice Dupin. Le train de vie était des plus modestes, l'existence des
plus régulières. Celle qui jadis avait suivi un général sur les grandes
routes de l'Italie, n'aspirait désormais qu'à la quiétude. Elle n'avait
aucun goût pour le monde. «Les grands dîners, écrit George Sand, les
longues soirées, les visites banales, le bal même, lui étaient odieux.
C'était la femme du coin du feu ou de la promenade rapide et folâtre.»
En ce point, ses sentiments étaient tout à fait conformes à ceux de son
mari. «Ils ne se trouvaient heureux, ajoute l'Histoire de ma Vie, que
dans leur petit ménage. Partout ailleurs ils étouffaient de mélancoliques
bâillements, et ils m'ont légué cette secrète sauvagerie qui m'a rendu
toujours le monde insupportable et le home nécessaire.»
Nous n'avons que de rares lettres de Maurice Dupin à sa femme et nous
n'en possédons point qui aient été adressées à sa mère, durant la
campagne de 1805. On sait toutefois qu'il participa à la série
d'opérations militaires qui devaient se terminer par l'occupation de
Vienne. Mais il n'est pas certain qu'il ait assisté à la bataille d'Austerlitz.
Son avancement s'effectuait avec lenteur. Depuis Marengo, il marquait
le pas au grade de lieutenant. Il s'en plaint dans sa correspondance. De
là cette phrase de l'Histoire de ma Vie, sans qu'on voie bien exactement
s'il faut l'attribuer à George Sand ou à son père: «Chacun sous l'Empire
songe à soi; sous la République, c'était à qui s'oublierait.»
Nommé enfin capitaine du 1er hussards le 30 frimaire an XIV (20
décembre 1805) et chevalier de la Légion d'honneur à la même époque,
Maurice Dupin revint passer quelques semaines à Paris. Entre temps, la
petite Aurore avait été mise en sevrage à Chaillot, chez la tante Lucie,
soeur de sa mère, qui avait épousé M. Maréchal, officier retraité. Elle
jouait avec sa cousine Clotilde, leur fille, qui était du même âge et qui
fut la meilleure amie de ses jeunes années. On louait, pour promener les
enfants, l'âne d'un jardinier voisin, et on les plaçait sur du foin dans les
paniers qui servaient à porter les fruits, les légumes ou le lait au marché,
Caroline dans l'un, Clotilde et Aurore dans l'autre.
Voilà le plus lointain souvenir qu'ait gardé George Sand, ainsi que celui
d'un accident qui vers deux ans lui arriva. La bonne qui la tenait dans
ses
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