George Sand et ses amis | Page 7

Abert le Roy
en musique et dans le rose, elle aura du bonheur.»
On l'appela Aurore, en souvenir de la grand'mère absente et que l'on se
garda bien d'informer. George Sand entrait dans le monde, l'an dernier
de la République, l'an premier de l'Empire. Sa vie devait être agitée,
comme la Révolution politique, philosophique, religieuse et sociale
dont elle est issue et que reflètera son oeuvre.

CHAPITRE II
LES ANNÉES D'ENFANCE

Pour fil conducteur à travers l'enfance et la jeunesse de George Sand,
nons avons encore l'Histoire de ma Vie, mais rédigée sous une
inspiration sensiblement différente. Tous les premiers chapitres, relatifs
aux origines, avaient été composés et publiés sous la monarchie de
Juillet. L'écrivain reprend la plume et continue son autobiographie, le
1er juin 1848, après avoir participé aux événements de la Révolution
qui renversa Louis-Philippe et avoir collaboré, auprès de Ledru-Rollin,
fondateur du suffrage universel, aux circulaires du gouvernement
provisoire. Il en résulte une évolution de sa pensée, une volte-face
analogue à celle qu'on remarque, au regard de M. Thiers, dans les
volumes de l'Histoire du Consulat et de l'Empire postérieurs au Deux
Décembre. «J'ai beaucoup appris, déclare George Sand, beaucoup vécu,
beaucoup vieilli durant ce court intervalle... Si j'eusse fini mon livre
avant cette Révolution, c'eût été un autre livre, celui d'un solitaire, d'un
enfant généreux, j'ose le dire, car je n'avais étudié l'humanité que sur
des individus souvent exceptionnels et toujours examinés par moi à
loisir. Depuis j'ai fait, de l'oeil, une campagne dans le monde des faits,
et je n'en suis point revenue telle que j'y étais entrée. J'y ai perdu les
illusions de la jeunesse, que par un privilège dû à ma vie de retraite et
de contemplation, j'avais conservées plus tard que de raison.»
Ces illusions, nous les connaîtrons mieux et pourrons en apprécier la
persistance, en repassant avec George Sand les péripéties de ses
premières années et les hasards d'une éducation où se heurtèrent les
influences rivales de sa mère et de son aïeule.
Madame Dupin, en dépit des fréquents voyages que son fils faisait à
Nohant, n'avait appris de lui ni le mariage avec madame Delaborde ni
la naissance de l'enfant survenue le 12 messidor. C'est seulement vers la
fin de brumaire an XIII (novembre 1804) qu'elle conçut des soupçons
et voulut les éclaircir. L'Histoire de ma Vie rapporte les deux lettres
qu'elle adressa au maire du cinquième arrondissement: «J'ai de fortes
raisons, écrivait-elle, pour craindre que mon fils unique ne se soit
récemment marié à Paris sans mon consentement. Je suis veuve; il a
vingt-six ans; il sert, il s'appelle Maurice-François-Elisabeth Dupin. La
personne avec laquelle il a pu contracter mariage a porté différents
noms; celui que je crois le sien est Victoire Delaborde. Elle doit être un

peu plus âgée que mon fils--(elle avait effectivement trente ans),--tous
deux demeurent ensemble rue Meslay, n° 15... Cette fille ou cette
femme, car je ne sais de quel nom l'appeler, avant de s'établir dans la
rue Meslay, demeurait en nivôse dernier rue de la Monnaie, où elle
tenait une boutique de modes.»
Les lettres ni les démarches de madame Dupin ne purent aboutir à
l'annulation du mariage. Elle recueillit seulement, comme pour attiser
sa colère, des renseignements fort peu édifiants sur les origines de cette
bru qui entrait subrepticement dans sa famille, sur le père, Claude
Delaborde, oiselier au quai de la Mégisserie, sur le grand-père maternel,
un certain Cloquart, qui portait encore, par delà la Révolution, un grand
habit rouge et un chapeau à cornes, son costume de noces sous le règne
de Louis XV.
Cependant l'officier de l'état civil, un maire à l'âme patriarcale, tentait
de calmer les inquiétudes de madame Dupin. Il chargeait, selon ses
propres expressions, une personne intelligente et sûre de pénétrer, sous
un prétexte quelconque, dans l'intérieur des jeunes époux, et voici le
tableau qu'il en trace, d'après ce témoin fidèle: «On a trouvé un local
extrêmement modeste, mais bien tenu, les deux jeunes gens ayant un
extérieur de décence et même de distinction, la jeune mère au milieu de
ses enfants, allaitant elle-même le dernier, et paraissant absorbée par
ces soins maternels; le jeune homme plein de politesse, de
bienveillance et de sérénité... Enfin, quels qu'aient pu être les
antécédents de la personne, antécédents que j'ignore entièrement, sa vie
est actuellement des plus régulières et dénote même une habitude
d'ordre et de décence qui n'aurait rien d'affecté. En outre, les deux
époux avaient entre eux le ton d'intimité douce qui suppose la bonne
harmonie, et, depuis des renseignements ultérieurs, je me suis
convaincu que rien n'annonce que votre fils ait à se repentir de l'union
contractée.»
Le maire termine par quelques paroles de condoléance, en prévoyant
qu'un jour ou l'autre le jeune homme se repentira d'avoir brisé le coeur
de sa mère. Mais c'est sa première, sa seule faute.
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