George Sand et ses amis | Page 4

Abert le Roy
une bonne mère,
de bons amis, une belle maîtresse, un peu de gloire, de beaux chevaux
et des ennemis à combattre!» La femme qui soulève tout cet
enthousiasme--et qui sera la mère de George Sand--s'appelait
Sophie-Victoire-Antoinette Delaborde. Elle avait été en prison au
couvent des Anglaises en même temps que madame Dupin, et pour lors
elle usait de moyens d'existence assez fâcheux. L'Histoire de ma Vie
recourt à des circonlocutions, à des euphémismes, et finit par convenir
que «sa jeunesse avait été livrée par la force des choses à des hasards
effrayants.» Ces explications très embarrassées ont pour objet de ne pas
confesser crûment que Victoire Delaborde accompagnait un général de
l'armée d'Italie et avait trouvé des ressources dans les dépouilles du
pays conquis. George Sand ne s'arrête pas à ces misères. Elle veut
excuser, sinon innocenter sa mère: «Un fait subsiste devant Dieu, c'est
qu'elle fut aimée de mon père, et qu'elle le mérita apparemment,
puisque son deuil, à elle, ne finit qu'avec sa vie.» Haussant encore le
ton, elle s'écrie sur le mode déclamatoire: «Le grand révolutionnaire
Jésus nous a dit un jour une parole sublime: c'est qu'il y avait plus de
joie au ciel pour la recouvrance d'un pécheur que pour la persévérance
de cent justes.» Redescendons des sommets de la morale évangélique
dans la réalité: Maurice Dupin recevait de madame Delaborde des prêts
d'argent, sans s'inquiéter d'abord d'où elle tirait ces subsides. Ce n'est
qu'à la réflexion qu'il doute de la délicatesse du procédé et discute avec
ses scrupules: «Qu'as-tu fait? qu'ai-je fait moi-même en acceptant ce
secours?... Si j'avais su que tu n'étais pas mariée, que tout ce luxe ne
t'appartenait pas!... Je me trompe, je ne sais ce que je dis, il t'appartient,
puisque l'amour te l'a donné: mais quand je songe aux idées qui
pourraient lui venir, à lui... Il ne les aurait pas longtemps, je le tuerais!
Enfin je suis fou, je t'aime et je suis au désespoir. Tu es libre, tu peux le
quitter quand tu voudras, tu n'es pas heureuse avec lui, c'est moi que tu
aimes, et tu veux me suivre, tu veux perdre une position assurée et
fortunée pour partager les hasards de ma mince fortune.»
Maurice Dupin réussit à détacher madame Delaborde de son général,
mais il rencontra mille obstacles avant d'aboutir au mariage. Quatre

années s'écoulèrent entre la rencontre d'Asola et la naissance de George
Sand. Elles furent singulièrement agitées: maintes fois le jeune homme
essaya de sacrifier son amour à sa mère, qui avait l'humeur ombrageuse
et jalouse. Fait prisonnier par les Autrichiens en nivôse an IX, il ne
recouvra la liberté, au bout de deux mois, que pour accourir à Nohant
en floréal de la même année. Victoire Delaborde vint le rejoindre à La
Châtre, «ayant tout quitté, tout sacrifié à un amour libre et
désintéressé.» On sut sa présence dans la petite ville, et Maurice en
parla à madame Dupin. Son précepteur, un certain Deschartres,
ci-devant abbé, voulut intervenir et le fit très maladroitement. Un beau
matin, il se rend à La Châtre, à l'auberge de la Tête-Noire, réveille la
voyageuse, lui adresse des reproches et des menaces, la somme de
repartir le jour même pour Paris. Elle riposte, lui ferme la porte au nez.
Il va quérir le maire et les gendarmes, qui pénètrent dans la chambre de
Victoire et trouvent «une toute petite femme, jolie comme un ange, qui
pleurait, assise sur le bord de son lit, les bras nus et les cheveux épars.»
Les autorités constituées s'adoucissent. Elle leur raconte «qu'elle avait
rencontré Maurice en Italie, qu'elle l'avait aimé, qu'elle avait quitté pour
lui une riche protection et qu'elle ne connaissait aucune loi qui pût lui
faire un crime de sacrifier un général à un lieutenant et sa fortune à son
amour.» A ce récit, les magistrats municipaux sont émus. Ils prennent
parti contre le pédagogue. Mais le coup était porté, le scandale produit,
et madame Dupin, avertie par Deschartres, ne devait jamais oublier cet
esclandre. Maurice s'efforça de consoler sa mère par de mensongères
promesses. Il lui écrivit: «Enfin que crains-tu et qu'imagines-tu? Que je
vais épouser une femme qui me ferait rougir un jour?... Ta crainte n'a
pas le moindre fondement, Jamais l'idée du mariage ne s'est encore
présentée à moi; je suis beaucoup trop jeune pour y songer, et la vie que
je mène ne me permet guère d'avoir femme et enfants. Victoire n'y
pense pas plus que moi» Puis il entre dans des détails pour rassurer
madame Dupin, et il va sans nul doute à l'encontre de ses visées.
Victoire est veuve, elle a une petite fille. Elle travaillera pour vivre.
Elle a déjà été modiste; elle tiendra de nouveau un magasin de modes.
Et il conclut: «Est-ce que je peux, est-ce que je pourrai jamais prendre
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