un parti qui serait contraire à ta volonté et à tes désirs? Songe que c'est
impossible, et dors donc tranquille.»
L'orgueil de la châtelaine de Nohant devait être exaspéré, à la seule
pensée que cette modiste pourrait devenir sa bru et porter le nom
presque seigneurial des Dupin. Mais il y avait plus. Victoire, éloignée
de La Châtre, continuait d'écrire à Maurice, et quelles lettres! En ce
point, elle était la digne émule de Thérèse Levasseur. Et George Sand,
qui nous donne sur sa mère des renseignements qu'elle aurait pu et dû
taire, souligne son manque d'instruction: «C'est tout au plus si à cette
époque elle savait écrire assez pour se faire comprendre. Pour toute
éducation, elle avait reçu en 1788 les leçons élémentaires d'un vieux
capucin qui apprenait gratis à lire et à réciter le catéchisme à de
pauvres enfants... Il fallait les yeux d'un amant pour déchiffrer ce petit
grimoire et comprendre ces élans d'un sentiment passionné qui ne
pouvait trouver de forme pour s'exprimer.» Cependant Maurice était
conquis et subissait l'ascendant de cette nature inférieure. Il y a une
histoire assez louche et assez répugnante au sujet de l'argent qu'elle lui
avait prêté et qui venait du général. La restitution fut effectuée, mais
péniblement, et Maurice est obligé de s'en expliquer avec sa mère:
«Tous les dons, dit-il, qu'elle lui avait emportés pour en manger le
profit avec moi se réduisaient à un diamant de peu de valeur qu'elle
avait conservé par mégarde, et qui lui avait été renvoyé avant même
qu'elle connût ses plaintes et ses calomnies.» N'importe, il devait être
infiniment douloureux pour madame Dupin que son fils fût réduit à lui
écrire: «Je ne sais pas si je suis un des Grieux, mais il n'y a point ici de
Manon Lescaut.» Devant la perspective d'une telle union, on ne peut
que comprendre et approuver les résistances de la mère. Il faudra
pourtant qu'elle finisse par céder, par consentir à un mariage que
George Sand tâche de justifier en recourant à de véritables paradoxes:
«Il va épouser une fille du peuple, c'est-à-dire qu'il va continuer et
appliquer les idées égalitaires de la Révolution dans le secret de sa
propre vie. Il va être en lutte dans le sein de sa propre famille contre les
principes d'aristocratie, contre le monde du passé. Il brisera son propre
coeur, mais il aura accompli son rêve.» En vérité, c'est employer de
trop grands mots pour expliquer des misères. Et, dans ce conflit d'ordre
sentimental, nos sympathies iront plutôt vers madame Dupin que vers
Victoire Delaborde.
Durant bien des mois les tiraillements se prolongèrent. Maurice écrivait
à sa mère, le 3 pluviôse an X (février 1802): «Je te jure par tout ce qu'il
y a de plus sacré que V*** travaille et ne me coûte rien... Ne parlons
pas d'elle, je t'en prie, ma bonne mère, nous ne nous entendrions pas;
sois sûre seulement que j'aimerais mieux me brûler la cervelle que de
mériter de toi un reproche.» Aussi bien toutes les mercuriales de
madame Dupin demeuraient impuissantes, et le pauvre Deschartres,
chargé du rôle de Mentor, était berné sans vergogne, alors qu'il
s'appliquait à tenir son ancien écolier sous sa férule. «Un matin, raconte
George Sand, mon père s'esquive de leur commun logement, et va
rejoindre Victoire dans le jardin du Palais-Royal, où ils s'étaient donné
rendez-vous pour déjeuner ensemble chez un restaurateur. A peine se
sont-ils retrouvés, à peine Victoire a-t-elle pris le bras de mon père, que
Deschartres, jouantle rôle de Méduse, se présente au devant d'eux.
Maurice paye d'audace, fait bonne mine à son argus et lui propose de
venir déjeuner en tiers. Deschartres accepte. Il n'était pas épicurien,
pourtant il aimait les vins fins, et on ne les lui épargna pas. Victoire prit
le parti de le railler avec esprit et douceur, et il parut s'humaniser un
peu au dessert; mais quand il s'agit de se séparer, mon père voulant
reconduire son amie chez elle, Deschartres retomba dans ses idées
noires et reprit tristement le chemin de son hôtel.»
Au printemps de 1802, Maurice va rejoindre son régiment à Charleville,
et Victoire l'accompagne. Auprès des camarades de la garnison et des
gens de la petite ville, ils passaient pour être secrètement mariés. Il n'en
était rien. Mais la naissance de plusieurs enfants vint resserrer
étroitement leurs liens. Ils ne poussèrent pas l'imitation de Jean-Jacques
jusqu'à les livrer à la charité publique. Un seul survécut: ce devait être
George Sand, qui ignore ou néglige de nous indiquer le nombre et le
sexe des autres enfants issus de cette union et emportés en bas âge.
On était alors dans une période d'accalmie politique et militaire. Le
gouvernement personnel s'établissait sur les ruines de la République.
L'oeuvre de réaction débutait par une entente avec la Cour de Rome,
aux fins
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