un Dijon d'autrefois.
?J'eus bient?t déblayé le Dijon des quatorzième et quinzième siècles, autour duquel courait un branle de dix-huit tours, de huit portes et de quatre poternes ou portelles,--le Dijon de Philippe-le-Hardi, de Jean-sans-Peur, de Philippe-le-Bon et de Charles-le-Téméraire, avec ses maisons de torchis à pignons pointus comme le bonnet d'un fou, à fa?ades barrées de croix de Saint-André; avec ses h?tels embastillés, à étroites barbacanes, à doubles guichets, à préaux pavés de hallebardes:--avec ses églises, sa sainte chapelle, ses abbayes, ses monastères, qui faisaient des processions de clochers, de flèches, d'aiguilles, déployant pour bannières leurs vitraux d'or et d'azur, promenant leurs reliques miraculeuses, s'agenouillant aux cryptes sombres de leurs martyrs, ou au reposoir fleuri de leurs jardins;--avec son torrent de Suzon dont le cours, chargé de poncels de bois et de moulins à farine, séparait le territoire de l'abbé de Saint-Bénigne du territoire de l'abbé de Saint-étienne, comme un huissier au parlement jetait sa verge et son holà entre deux plaideurs bouffis de colère[8];--et enfin avec ses faubourg populeux dont l'un, celui de St-Nicolas, étalait ses douze rues au soleil, ni plus ni moins qu'une grasse truie en gésine ses douze mamelles.--J'avais galvanisé un cadavre et ce cadavre s'était levé.
?Dijon se lève; il se lève, il marche, il court! trente dindelles carillonnent dans un ciel bleu d'outremer comme en peignait le vieil Albert Dürer. La foule se presse aux h?telleries de la rue Bouchepot, aux étuves de la porte aux Chanoines, au mail de la rue St-Guillaume, au change de la rue Notre-Dame, aux fabriques d'armes de la rue des Forges, à la fontaine de la place des Cordeliers, au four banal de la rue de Bèze, aux halles de la place Champeaux, au gibet de la place Morimont; bourgeois, nobles, vilains, soudrilles, prêtres, moines, clercs, marchands, varlets, juifs, lombards, pèlerins, ménestrels, officiers du parlement et de la chambre des comptes, officiers des gabelles, officiers de la maison du duc: qui clament, qui sifflent, qui chantent, qui geignent, qui prient, qui maugréent,--dans les basternes, dans des litières, à cheval, sur des mules, sur la haquenée de saint Fran?ois.--Et comment douter de cette résurrection? Voici flotter aux vents l'étendard de soie, moitié vert, moitié jaune, broché des armoiries de la ville qui sont de gueules au pampre d'or feuillé de sinople[9].
?Mais quelle est cette cavalcade? c'est le duc qui va s'ébattre à la chasse. Déjà la duchesse l'a précédé au chateau de Rouvres. Le magnifique équipage et le nombreux cortège! Monseigneur le duc éperonne un gris pommelé qui frissonne à l'air vif et piquant du matin. Derrière lui caracolent et se pavanent les Riches de Chalons, les Nobles de Vienne, les Preux de Vergy, les Fiers de Neuchatel, les _bons Barons_ de Beaufremont.--Et ces deux personnages qui chevauchent à la queue de la file? Le plus jeune, que distinguent son juste-au-corps de velours sang-de-boeuf et sa marotte grelottante, s'égosille de rire; le plus vieux, accoutré d'une cape de drap noir sous laquelle il retrait un volumineux psautier, baisse la tête d'un air confus: l'un est le roi des Ribauds, l'autre est le chapelain du duc[10]. Le fou propose au sage des questions que celui-ci ne peut résoudre; et tandis que la populace crie No?l!--que les palefrois hennissent, que les limiers aboient, que les cors fanfarent, eux, la bride sur le cou de leurs montures à l'amble, devisent familièrement de la sage dame Judith et du preudhomme Machabée.
?Cependant un héraut sonne de la buccine sur la tour du logis du duc. Il signale dans la plaine les chasseurs lan?ant leurs faucons. Le temps est pluvieux; une brume grisatre lui dérobe au loin l'abbaye de Citeaux qui baigne ses bois dans les marécages; mais un rayon de soleil lui montre plus rapprochés et plus distincts le chateau de Talant, dont les terrasses et les plates-formes se crénèlent dans la nue,--les manoirs du sire de Ventoux et du seigneur de Fontaine, dont les girouettes percent des massifs de verdure,--le monastère de Saint-Maur dont les colombiers s'aiguisent au milieu d'une volée de pigeons,--la léproserie de St-Apollinaire qui n'a qu'une porte et n'a point de fenêtres,--la chapelle de St-Jacques de Trimolois, qu'on dirait un pèlerin cousu de coquilles;--et sous les murs de Dijon, au-delà des meix de l'abbaye de St-Bénigne, le clo?tre de la Chartreuse, blanc comme le froc des disciples de saint Bruno.
?La Chartreuse de Dijon! le Saint-Denis des ducs de Bourgogne[11]! Ah! pourquoi faut-il que les enfants soient jaloux des chefs-d'oeuvres de leurs pères! Allez maintenant où fut la Chartreuse, vos pas y heurteront sous l'herbe des pierres qui ont été des clefs de vo?tes, des tabernacles d'autels, des chevets de tombeaux, des dalles d'oratoires; des pierres où l'encens a fumé, où la cire a br?lé, où l'orgue a murmuré, où les ducs morts ont posé le front.--O néant de la grandeur et
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.