genoux!--Le livre me tomba des mains.
?Je descendis chez les locataires de la terrasse. Le vieillard était un ministre de la religion réformée qui avait échangé la froide patrie de sa Thuringe contre le tiède exil de notre Bourgogne. La musicienne était son unique enfant, blonde et frêle beauté de dix-sept ans qu'effeuillait un mal de langueur; et le livre par moi réclamé était un eucologe allemand à l'usage des églises du rite luthérien et aux armes d'un prince de la maison d'Anhalt-Co?then.
?Ah! monsieur, ne remuons pas une cendre encore inassoupie! Elisabeth n'est plus qu'une Béatrix à la robe azurée. Elle est morte, monsieur, morte! et voici l'eucologe où elle épanchait sa timide prière, la rose où elle a exhalé son ame innocente.--Fleur desséchée en bouton comme elle!--Livre fermé comme le livre de sa destinée!--Reliques bénies qu'elle ne méconna?tra pas dans l'éternité, aux larmes dont elles seront trempées, quand la trompette de l'archange ayant rompu la pierre de mon tombeau, je m'élancerai par-delà tous les mondes jusqu'à la vierge adorée, pour m'asseoir enfin près d'elle sous les regards de Dieu!...
--Et l'art, lui demandai-je?
--Ce qui dans l'art est sentiment était ma douloureuse conquête. J'avais aimé, j'avais prié. Gott--Liebe, Dieu et Amour!--Mais ce qui dans l'art est idée leurrait encore ma curiosité. Je crus que je trouverais le complément de l'art dans la nature. J'étudiai donc la nature.
?Je sortais le matin de ma demeure et je n'y rentrais que le soir. Tant?t, accoudé sur le parapet d'un bastion en ruines, j'aimais, pendant de longues heures, à respirer le parfum sauvage et pénétrant du violier qui mouchète de ses bouquets d'or la robe de lierre de la féodale et caduque cité de Louis XI[3]; à voir s'accidenter le paysage tranquille d'un coup de vent, d'un rayon de soleil, ou d'une ondée de pluie, le bec-figue et les oisillons des haies se jouer dans la pépinière éparpillée d'ombres et de clartés, les grives accourues de la montagne vendanger la vigne assez haute et touffue pour cacher le cerf de la fable, les corbeaux s'abattre de tous les coins du ciel, en bandes fatiguées, sur la carcasse d'un cheval abandonnée par le pialey[4] dans quelque bas-fond verdoyant; à écouter les lavandières qui faisaient retentir leur rouillot joyeux au bord de Suzon[5] et l'enfant qui chantait une mélodie plaintive en tournant sous la muraille la roue du cordier.--Tant?t je frayais à mes rêveries un sentier de mousse et de rosée, de silence et de quiétude, loin de la ville. Que de fois j'ai ravi leurs quenouilles de fruits rouges et acides aux halliers mal hantés de la fontaine de Jouvence et de l'ermitage de Notre-Dame-d'étang, la fontaine des Esprits et des Fées, l'ermitage du Diable[6]! Que de fois j'ai ramassé le buccin pétrifié et le corail fossile sur les hauteurs pierreuses de Saint-Joseph, ravinées par l'orage! Que de fois j'ai pêché l'écrevisse dans les gués échevelés des Tilles[7], parmi les cressons qui abritent la salamandre glacée et parmi les nénuphars dont baillent les fleurs indolentes! Que de fois j'ai épié la couleuvre sur les plages embourbées de Saulons, qui n'entendent que le cri monotone de la foulque et le gémissement funèbre du grèbe! Que de fois j'ai étoilé d'une bougie les grottes souterraines d'Asnières où la stalactite distille avec lenteur l'éternelle goutte d'eau de la clepsydre des siècles! Que de fois j'ai hurlé de la corne, sur les rocs perpendiculaires de Chèvre-Morte, la diligence gravissant péniblement le chemin à trois cents pieds au-dessous de mon tr?ne de brouillards! Et les nuits mêmes, les nuits d'été, balsamiques et diaphanes, que de fois j'ai gigué comme un lycanthrope autour d'un feu allumé dans le val herbu et désert, jusqu'à ce que les premiers coups de cognée du b?cheron ébranlassent les chênes! Ah! monsieur, combien la solitude a d'attraits pour le poète! J'aurais été heureux de vivre dans les bois et de ne faire pas plus de bruit que l'oiseau qui se désaltère à la source, que l'abeille qui picore à l'aubépine et que le gland dont la chute crève la feuillée!...
--Et l'art, lui demandai-je?
--Patience! l'art était encore dans les limbes. J'avais étudié le spectacle de la nature, j'étudiai les monuments des hommes.
?Dijon n'a pas toujours parfilé ses heures oisives aux concerts de ses philharmoniques enfants. Il a endossé le haubert--coiffé le morion--brandi la pertuisane--déga?né l'épée--amorcé l'arquebuse--braqué le canon sur ses remparts--couru les champs tambour battant et enseignes déchirées, et, comme le ménestrel gris de la barbe qui emboucha la trompette avant de racler du rebec, il aurait de merveilleuses histoires à vous raconter, ou plut?t, ses bastions croulants, qui encaissent dans une terre mêlée de débris les racines feuilleuses de ses marronniers d'Inde, et son chateau démantelé dont le pont tremble sous le pas éreinté de la jument du gendarme regagnant la caserne,--tout atteste deux Dijons: un Dijon d'aujourd'hui,
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