avili, dépravé, perdu, hélas! peut-être. La misère dégrade ceux qu'on élève dans le besoin des honneurs et dans la soif des richesses. Et le cruel vieillard s'en réjouit! Il triomphe de voir son petit-fils dans l'abjection, parce que le père de cet infortuné a osé contrarier ses volontés absolues, qui sait? dévoiler quelqu'une de ses turpitudes, peut-être! Eh bien! je te tendrai la main, moi qui suis dans le fond de mon ame plus avili et plus malheureux que lui encore; je m'efforcerai de te retirer du bourbier, et de purifier ton ame par une amitié sainte. Si je n'y réussis pas, je comblerai du moins par mes richesses l'ab?me de ta misère, je te restituerai ainsi l'héritage qui t'appartient; et, si je ne puis te rendre ce vain titre que tu regrettes peut-être, et que je rougis de porter à ta place, je m'efforcerai du moins de détourner sur toi la faveur des rois, dont tous les hommes sont jaloux. Mais quel nom porte-t-il? Et où le trouverai-je? Je le saurai: je dissimulerai, je tromperai, moi aussi! Et quand la confiance et l'amitié auront rétabli l'égalité entre lui et moi, ils le sauront!... Leur inquiétude sera poignante. Puisque tu m'insultes, ? vieux Jules! puisque tu crois que la chasteté m'est si pénible, ton supplice sera d'ignorer à quel point mon ame est plus chaste et ma volonté plus ferme que tu ne peux le concevoir!...
Allons! du courage! Mon Dieu! mon Dieu! vous êtes le père de l'orphelin, l'appui du faible, le défenseur de l'opprimé!
FIN DU PROLOGUE.
[Illustration: Voilà ce ferrailleur d'Astolphe (Page 8.)]
PREMIèRE PARTIE.
Une taverne.
SCèNE PREMIèRE.
GABRIEL, MARC, GROUPES _attablés_; L'H?TE, _allant et venant; puis_ LE COMTE ASTOLPHE DE BRAMANTE.
GABRIEL, _s'asseyant à une table_.
Marc! prends place ici, en face de moi; assis, vite!
MARC, _hésitant à s'asseoir_.
Monseigneur... ici?...
GABRIEL.
Dépêche! tous ces lourdauds nous regardent. Sois un peu moins empesé... Nous ne sommes point ici dans le chateau de mon grand-père. Demande du vin.
_(Marc frappe sur la table. L'h?te s'approche.)_
L'H?TE.
Quel vin servirai-je à vos excellences?
MARC, _à Gabriel_.
Quel vin servira-t-on à Votre Excellence?
GABRIEL, _à l'h?te_.
Belle question! pardieu! du meilleur.
_( L'h?te n'éloigne. A Marc.)_
Ah ?à! ne saurais-tu prendre des manières plus dégagées? Oublies-tu où nous sommes, et veux-tu me compromettre?
MARC.
Je ferai mon possible... Mais en vérité je n'ai pas l'habitude... êtes-vous bien s?r que ce soit ici?...
GABRIEL.
Très-s?r.. Ah! le local a mauvais air, j'en conviens; mais c'est la manière de voir les choses qui fait tout. Allons, vieil ami, un peu d'aplomb.
MARC.
Je souffre de vous voir ici!... Si quelqu'un allait vous reconna?tre...
GABRIEL.
Eh bien! cela ferait le meilleur effet du monde.
GROUPE D'éTUDIANTS.--UN éTUDIANT.
Gageons que ce jeune vaurien vient ici avec son oncle pour le griser et lui avouer ses dettes entre deux vins.
AUTRE éTUDIANT.
Cela? C'est un gar?on rangé. Rien qu'aux plis de sa fraise on voit que c'est un pédant.
UN AUTRE.
Lequel des deux?
DEUXIèME éTUDIANT.
L'un et l'autre.
MARC, frappant sur la table.
Eh bien! ce vin?
GABRIEL.
A merveille! frappe plus fort.
GROUPE DE SPADASSINS.--PREMIER SPADASSIN.
Ces gens-là sont bien pressés! Est-ce que la gorge br?le à ce vieux fou?
SECOND SPADASSIN.
Ils sont mis proprement.
TROISIèME SPADASSIN.
Hein! un vieillard et un enfant! quelle heure est-il?
PREMIER SPADASSIN.
Occupe l'h?te, afin qu'il ne les serve pas trop vite. Pour peu qu'ils vident deux flacons, nous gagnerons bien minuit.
DEUXIèME SPADASSIN.
Ils sont bien armés.
TROISIèME SPADASSIN.
Bah! l'un sans barbe, l'autre sans dents.
(_Astolphe entre._)
PREMIER SPADASSIN.
Ouf! voilà ce ferrailleur d'Astolphe. Quand serons-nous débarrassés de lui?
QUATRIèME SPADASSIN.
Quand nous voudrons.
DEUXIèME SPADASSIN.
Il est seul ce soir.
QUATRIèME SPADASSIN.
Attention!
(_Il montre les étudiants, qui se lèvent._)
LE GROUPE D'éTUDIANTS.--PREMIER éTUDIANT.
Voilà le roi des tapageurs, Astolphe. Invitons-le à vider un flacon avec nous; sa gaieté nous réveillera.
DEUXIèME éTUDIANT.
Ma foi, non. Il se fait tard; les rues sont mal fréquentées.
PREMIER éTUDIANT.
N'as-tu pas ta rapière?
DEUXIèME éTUDIANT.
Ah! je suis las de ces sottises-là. C'est l'affaire des sbires, et non la n?tre, de faire la guerre aux voleurs toutes les nuits.
TROISIèME éTUDIANT.
Et puis je n'aime guère ton Astolphe. Il a beau être gueux et débauché, il ne peut oublier qu'il est gentilhomme, et de temps en temps il lui prend, comme malgré lui, des airs de seigneurie qui me donnent envie de le souffleter.
[Illustration: A moi, camarades! je suis mort... (page 10.)]
DEUXIèME éTUDIANT.
Et ces deux cuistres qui boivent là tristement dans un coin me font l'effet de barons allemands mal déguisés.
PREMIER éTUDIANT.
Décidément le cabaret est mal composé ce soir. Partons.
(_Ils paient l'h?te et sortent. Les spadassins suivent tous leurs mouvements. Gabriel est occupé à examiner Astolphe qui s'est jeté sur un banc d'un air farouche, les coudes appuyés sur la table, sans demander à boire et sans regarder personne._)
MARC, _bas à Gabriel_.
C'est un beau jeune homme; mais quelle mauvaise tenue! Voyez, sa fraise est déchirée et son pourpoint couvert de taches.
GABRIEL.
C'est la faute de son valet de chambre. Quel noble front! Ah! si j'avais ces traits males et ces larges mains!...
PREMIER SPADASSIN, _regardant par la fenêtre_.
Ils sont loin.... Si ces deux benêts qui restent là sans
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