Gabriel | Page 9

George Sand
vider leurs verres pouvaient partir aussi....
DEUXIèME SPADASSIN.
Lui chercher querelle ici? L'h?te est poltron.
TROISIèME SPADASSIN.
Raison de plus.
DEUXIèME SPADASSIN.
Il criera.
QUATRIèME SPADASSIN.
On le fera taire.
(_Minuit sonne._)
(_Astolphe frappe du poing sur la table. Les sbires l'observent alternativement avec Gabriel, qui ne regarde qu'Astolphe._)
MARC, _bas à Gabriel_.
Il y a là des gens de mauvaise mine qui vous regardent beaucoup.
GABRIEL.
C'est la gaucherie avec laquelle tu tiens ton verre qui les divertit.
MARC, buvant.
Ce vin est détestable, et je crains qu'il ne me porte à la tête.
(_Long silence._)
PREMIER SPADASSIN.
Le vieux s'endort.
DEUXIèME SPADASSIN.
Il n'est pas ivre.
TROISIèME SPADASSIN.
Mais il a une bonne dose d'hivers dans le ventre. Va voir un peu si Mezzani n'est pas par là dans la rue; c'est son heure. Ce jeune gars qui ouvre là-bas de si grands yeux a un surtout de velours noir qui n'annonce pas des poches percées.
_(Le deuxième spadassin va à la porte.)_
L'H?TE, _à Astolphe_.
Eh bien! seigneur Astolphe, quel vin aurai-je l'honneur de vous servir?
ASTOLPHE.
Va-t'en à tous les diables!
TROISIèME SPADASSIN, _à l'h?te à demi-voix, sans qu'Astolphe le remarque._
Ce seigneur vous a demandé trois fois du malvoisie.
L'H?TE.
En vérité?
_(Il sort en courant. Le premier spadassin fait un signe au troisième, qui met un banc en travers de la porte comme par hasard. Le deuxième rentre avec un cinquième compagnon.)_
LE PREMIER SPADASSIN.
Mezzani?
MEZZANI, bas.
C'est entendu. D'une pierre deux coups... Le moment est bon. La ronde vient de passer. J'entame la querelle.
_(Haut.)_
Quel est donc le malappris qui se permet de bailler de la sorte?
ASTOLPHE.
Il n'y a de malappris ici que vous, mon ma?tre.
_(Il recommence à bailler, en étendant les bras avec affectation.)_
MEZZANI.
Seigneur mal peigné, prenez garde à vos manières.
ASTOLPHE, _s'étendant comme pour dormir_.
Tais-toi, bravache, j'ai sommeil.
PREMIER SPADASSIN, _lui lan?ant son verre_.
Astolphe, à ta santé!
ASTOLPHE.
A la bonne heure; il me manquait d'avoir cassé quelque cruche en battu quelque chien aujourd'hui.
_(Il s'élance au milieu d'eux en poussant sa table au-devant de lui avec rapidité. Il renverse la table des spadassins, leurs bouteilles et leurs flambeaux. Le combat s'engage.)_
MEZZANI, _tenant Astolphe à la gorge_.
Eh! vous autres, lourdauds, tombez donc sur l'enfant.
PREMIER SPADASSIN, courant sur Gabriel.
Il tremble.
_(Marc se jette au-devant, il est renversé. Gabriel tue le spadassin d'un coup de pistolet à bout portant. Un autre s'élance vers lui. Marc se relève. Ils se battent. Gabriel est pale et silencieux, mais il se bat avec sang-froid.)_
ASTOLPHE, _qui s'est dégagé des mains de Mezzani, se rapproche de Gabriel en continuant à se battre_.
Bien, mon jeune lion! courage, mon beau jeune homme!...
_(Il traverse Mezzani de son épée.)_
MEZZANI, tombant. A moi, camarades! je suis mort...
L'H?TE crie en dehors.
Au secours! au meurtre! on s'égorge dans ma maison!
_(Le combat continue.)_
DEUXIèME SPADASSIN.
Mezzani mort... Sanche mourant... trois contre trois... Bonsoir!
_(Il s'enfuit vers la porte; les deux autres veulent en faire autant. Astolphe se met en travers de la porte.)_
ASTOLPHE.
Non pas, non pas. Mort aux mauvaises bêtes! A toi! don Gibet; à toi, Coupe-bourse!...
_(Il en accule deux dans un coin, blesse l'un qui demande grace. Marc poursuit l'autre qui cherche à fuir. Gabriel désarme le troisième, et lui met le poignard sur la gorge.)_
LE SPADASSIN, _à Gabriel_.
Grace, mon jeune ma?tre, grace! Vois, la fenêtre est ouverte, je puis me sauver... ne me perds pas! C'était mon premier crime, ce sera le dernier... Ne me fais pas douter de la miséricorde de Dieu! Laisse-moi!... pitié!...
GABRIEL.
Misérable! que Dieu t'entende et te punisse doublement si tu blasphèmes!... Va!
LE SPADASSIN, _montant sur la fenêtre_.
Je m'appelle Giglio... Je te dois la vie!...
_(Il s'élance et dispara?t. La garde entre et s'empare des deux autres, qui essayaient de fuir.)_
ASTOLPHE.
Bon! à votre affaire, messieurs les sbires! Vous arrivez, selon l'habitude, quand on n'a plus besoin de vous! Enlevez-nous ces deux cadavres; et vous, monsieur l'h?te, faites relever les tables. _(A Gabriel, qui se lave les mains avec empressement.)_ Voilà de la coquetterie; ces souillures étaient glorieuses, mon jeune brave!
GABRIEL, _très-pale et près de défaillir_.
J'ai horreur du sang.
ASTOLPHE.
Vrai Dieu! il n'y parait guère quand vous vous battez! Laissez-moi serrer cette petite main blanche qui combat comme celle d'Achille.
GABRIEL, _s'essuyant les mains avec un mouchoir de soie richement brodé_.
De grand coeur, seigneur Astolphe, le plus téméraire des hommes!
_(Il lui serre la main.)_
MARC, _à Gabriel_.
Monseigneur, n'êtes-vous pas blessé?
ASTOLPHE.
Monseigneur? En effet, vous avez tout l'air d'un prince. Eh bien! puisque vous connaissez mon nom, vous savez que je suis de bonne maison, et que vous pouvez, sans déroger, me compter parmi vos amis. _(Se retournant vers les sbires, qui ont interrogé l'h?te et qui s'approchent pour le saisir.)_ Eh bien! à qui en avez-vous maintenant, chers oiseaux de nuit?
LE CHEF LES SBIRES.
Seigneur Astolphe, vous allez attendre en prison que la justice ait éclairci cette affaire. _(A Gabriel.)_ Monsieur, veuillez aussi nous suivre.
ASTOLPHE, riant.
Comment! éclairci? Il me semble qu'elle est assez claire comme cela. Des assassins tombent sur nous; ils étaient cinq contre trois, et parce qu'ils comptaient sur la faiblesse d'un vieillard et d'un enfant... Mais ce sont de braves compagnons...
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