fortifier contre le désespoir...
_(Il écoute.)_
Le prince parle avec véhémence... Il vient par ici... Affronterai-je sa colère?... Oui, pour en préserver Gabriel... Faites, ? Dieu, qu'elle retombe sur moi seul... L'orage semble se calmer; c'est maintenant Gabriel qui parle avec assurance... Gabriel! étrange et malheureuse créature, unique sur la terre!... mon ouvrage, c'est-à-dire mon orgueil et mon remords!... mon supplice aussi! O Dieu! vous seul savez quels tourments j'endure depuis deux ans... Vieillard insensé! toi qui n'as jamais senti battre ton coeur que pour la vile chimère de la fausse gloire, tu n'as pas soup?onné ce que je pouvais souffrir, moi! Dieu, vous m'avez donné une grande force, je vous remercie de ce que mon épreuve est finie. Me punirez-vous pour l'avoir acceptée? Non! car à ma place un autre peut-être en e?t odieusement abusé... et j'ai du moins préservé tant que je l'ai pu l'être que je ne pouvais pas sauver.
SCèNE V.
LE PRINCE, GABRIEL, LE PRéCEPTEUR.
GABRIEL, _avec exaspération_.
Laissez-moi, j'en ai assez entendu; pas un mot de plus, ou j'attente à ma vie. Oui, c'est le chatiment que je devrais vous infliger pour ruiner les folles espérances de votre haine insatiable et de votre orgueil insensé.
LE PRéCEPTEUR.
Mon cher enfant, au nom du ciel, modérez-vous... Songez à qui vous parlez.
GABRIEL.
Je parle à celui dont je suis à jamais l'esclave et la victime! O honte! honte et malédiction sur le jour où je suis né!
LE PRINCE.
La concupiscence parle-t-elle déjà tellement à vos sens que l'idée d'une éternelle chasteté vous exaspère à ce point?
GABRIEL.
Tais-toi, vieillard! Tes lèvres vont se dessécher si tu prononces des mots dont tu ne comprends pas le sens auguste et sacré. Ne m'attribue pas des pensées qui n'ont jamais souillé mon ame. Tu m'as bien assez outragé en me rendant, au sortir du sein maternel, l'instrument de la haine, le complice de l'imposture et de la fraude. Fautil que je vive sous le poids d'un mensonge éternel, d'un vol que les lois puniraient avec la dernière ignominie!
LE PRéCEPTEUR.
Gabriel! Gabriel! vous parlez à votre a?eul!...
LE PRINCE.
Laissez-le exprimer sa douleur et donner un libre cours à son exaltation. C'est un véritable accès de démence dont je n'ai pas à m'occuper. Je ne vous dis plus qu'un mot, Gabriel: entre le sort brillant d'un prince et l'éternelle captivité du clo?tre, choisissez! Vous êtes encore libre. Vous pouvez faire triompher mes ennemis, avilir le nom que vous portez, souiller la mémoire de ceux qui vous ont donné le jour, déshonorer mes cheveux blancs... Si telle est votre résolution, songez que l'infamie et la misère retomberont sur vous le premier, et voyez si la satisfaction des plus grossiers instincts peut compenser l'horreur d'une telle chute.
GABRIEL.
Assez, assez, vous dis-je! Les motifs que vous attribuez à ma douleur sont dignes de votre imagination, mais non de la mienne...
_(Il s'assied et cache sa tête dans ses mains.)_
LE PRéCEPTEUR, bas au prince.
Monseigneur, il faudrait en effet le laisser à lui-même quelques instants; il ne se conna?t plus.
LE PRINCE, _de même_.
Vous avez raison. Venez avec moi, monsieur l'abbé.
LE PRéCEPTEUR, bas.
Votre altesse est fort irritée contre moi?
LE PRINCE, _de même_.
Au contraire. Vous avez atteint le but mieux que je ne l'aurais fait moi-même. Ce caractère m'offre plus de garantie de discrétion que je n'eusse osé l'espérer.
LE PRéCEPTEUR, _à part_.
Coeur de pierre!
_(Ils sortent.)_
SCèNE VI.
GABRIEL, seul.
Le voilà donc, cet horrible secret que j'avais deviné! Ils ont enfin osé me le révéler en face! Impudent vieillard! Comment n'es-tu pas rentré sous terre, quand tu m'as vu, pour te punir et te confondre, affecter tant d'ignorance et d'étonnement! Les insensés! comment pouvaient-ils croire que j'étais encore la dupe de leur insolent artifice? Admirable ruse, en effet! M'inspirer l'horreur de ma condition, afin de me fouler aux pieds ensuite, et de me dire: Voilà pourtant ce que vous êtes... voilà où nous allons vous reléguer si vous n'acceptez pas la complicité de notre crime! Et l'abbé! l'abbé lui-même que je croyais si honnête et si simple, il le savait! Marc le sait peut-être aussi! Combien d'autres peuvent le savoir? Je n'oserai plus lever les yeux, sur personne. Ah! quelquefois encore je voulais en douter. O mon rêve! mon rêve de cette nuit, mes ailes!... ma cha?ne!
_(Il pleure amèrement. S'essuyant les yeux.)_
Mais le fourbe s'est pris dans son propre piège, il m'a livré enfin le point le plus sensible de sa haine. Je vous punirai, ? imposteurs! je vous ferai partager mes souffrances; je vous ferai conna?tre l'inquiétude, et l'insomnie, et la peur de la honte... Je suspendrai le chatiment à un cheveu, et je le ferai planer sur ta tête blanche, à vieux Jules! jusqu'à ton dernier soupir. Tu m'avais soigneusement caché l'existence de ce jeune homme! ce sera là ma consolation, la réparation de l'iniquité à laquelle on m'associe! Pauvre parent! pauvre victime, toi aussi! Errant, vagabond, criblé de dettes, plongé dans la débauche, disent-ils,
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