le sien?...
LE PRéCEPTEUR. Quelques paroles, sans doute; quelques idées, jamais. Il n'a vu que de loin les filles de la campagne, et il éprouve une insurmontable répugnance à leur parler.
LE PRINCE. Et vraiment vous croyez être s?r qu'il ne se doute pas lui-même de la vérité?
LE PRéCEPTEUR. Son éducation a été si chaste, ses pensées sont si pures, une telle ignorance a enveloppé pour lui la vérité d'un voile si impénétrable, qu'il ne soup?onne rien, et n'apprendra que de la bouche de votre altesse ce qu'il doit apprendre. Mais je dois vous prévenir que ce sera un coup bien rude, une douleur bien vive, bien exaltée peut-être.... De telles causes devaient amener de tels effets....
LE PRINCE. Sans doute... cela est bon. Vous le préparerez par un entretien, ainsi que nous en sommes convenus.
LE PRéCEPTEUR. Monseigneur, j'entends le galop d'un cheval... C'est lui. Si vous voulez le voir par cette fenêtre... il approche.
LE PRINCE, _se levant avec vivacité et regardant par la fenêtre en se cachant avec le rideau._ Quoi! ce jeune homme monté sur un cheval noir, rapide comme la tempête?
LE PRéCEPTEUR, avec orgueil. Oui, monseigneur.
LE PRINCE. La poussière qu'il soulève me dérobe ses traits... Cette belle chevelure, cette taille élégante... Oui, ce doit être un joli cavalier... bien posé sur son cheval; de la grace, de l'adresse, de la force même... Eh bien! va-t-il donc sauter la barrière, ce jeune fou?
LE PRéCEPTEUR. Toujours, monseigneur.
LE PRINCE. Bravissimo! Je n'aurais pas fait mieux à vingt-cinq ans. L'abbé, si le reste de l'éducation a aussi bien réussi, je vous en fais mon compliment et je vous en récompenserai de manière à vous satisfaire, soyez-en certain. Maintenant j'entre dans l'appartement que vous m'avez destiné. Derrière cette cloison, j'entendrai votre entretien avec lui. J'ai besoin d'être préparé moi-même à le voir, de le conna?tre un peu avant de m'adresser à lui. Je suis ému, je ne vous le cache pas, monsieur l'abbé. Ceci est une circonstance grave dans ma vie et dans celle de cet enfant. Tout va être décidé dans un instant. De sa première impression dépend l'honneur de toute une famille. L'honneur! mot vile et tout-puissant!...
LE PRéCEPTEUR. La victoire vous restera comme toujours, monseigneur. Son ame romanesque, dont je n'ai pu fa?onner absolument à votre guise tous les instincts, se révoltera peut-être au premier choc; mais l'horreur de l'esclavage, la soif d'indépendance, d'agitation et de gloire triompheront de tous les scrupules.
LE PRINCE. Puissiez-vous deviner juste! Je l'entends... son pas est délibéré!... J'entre ici... Je vous donne une heure... plus ou moins, selon....
LE PRéCEPTEUR. Monseigneur, vous entendrez tout. Quand vous voudrez qu'il paraisse devant vous, laissez tomber un meuble; je comprendrai.
LE PRINCE. Soit! _(Il entre dans l'appartement voisin.)_
SCèNE III.
LE PRéCEPTEUR, GABRIEL.
(_Gabriel en habit de chasse à la mode du temps, cheveux longs, bouclés, en désordre, le fouet à la main. Il se jette sur une chaise, essoufflé, et s'essuie le front._)
GABRIEL. Ouf! je n'en puis plus.
LE PRéCEPTEUR. Vous êtes pale, en effet, monsieur. Auriez-vous éprouvé quelque accident?
GABRIEL. Non, mais mon cheval a failli me renverser. Trois fois il s'est dérobé au milieu de la course. C'est une chose étrange et qui ne m'est pas encore arrivée depuis que je le monte. Mon écuyer dit que c'est d'un mauvais présage. A mon sens, cela présage que mon cheval devient ombrageux.
LE PRéCEPTEUR. Vous semblez ému... Vous dites que vous avez failli être renversé?
GABRIEL. Oui, en vérité. J'ai failli l'être à la troisième fois, et à ce moment j'ai été effrayé.
LE PRéCEPTEUR. Effrayé? vous, si bon cavalier?
GABRIEL. Eh bien, j'ai eu peur, si vous l'aimez mieux.
LE PRéCEPTEUR. Parlez moins haut, monsieur, l'on pourrait vous entendre.
GABRIEL. Eh! que m'importe? Ai-je coutume d'observer mes paroles et de déguiser ma pensée? Quelle honte y a-t-il?
LE PRéCEPTEUR. Un homme ne doit jamais avoir peur.
GABRIEL Autant voudrait dire, mon cher abbé, qu'un homme ne doit jamais avoir froid, ou ne doit jamais être malade. Je crois seulement qu'un homme ne doit jamais laisser voir à son ennemi qu'il a peur.
LE PRéCEPTEUR. Il y a dans l'homme une disposition naturelle à affronter le danger, et c'est ce qui le distingue de la femme très-particulièrement.
GABRIEL. La femme! la femme, je ne sais à quel propos vous me parlez toujours de la femme. Quant à moi, je ne sens pas que mon ame ait un sexe, comme vous tachez souvent de me le démontrer. Je ne sens en moi une faculté absolue pour quoi que ce soit: par exemple, je ne me sens pas brave d'une manière absolue, ni poltron non plus d'une manière absolue. Il y a des jours où sous l'ardent soleil de midi, quand mon front est en feu, quand mon cheval est enivré, comme moi, de la course, je franchirais, seulement pour me divertir, les plus affreux précipices de nos montagnes. Il est des soirs où le bruit d'une croisée
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