agitée par la brise me fait frissonner, et où je ne passerais pas sans lumière le seuil de la chapelle pour toutes les gloires du monde. Croyez-moi nous sommes tous sous l'impression du moment, et l'homme qui se vanterait devant moi de n'avoir jamais eu peur me semblerait un grand fanfaron, de même qu'une femme pourrait dire devant moi qu'elle a des jours de courage sans que j'en fusse étonné. Quand je n'étais encore qu'un enfant, je m'exposais souvent au danger plus volontiers qu'aujourd'hui: c'est que je n'avais pas conscience du danger.
LE PRéCEPTEUR. Mon cher Gabriel, vous êtes très-ergoteur aujourd'hui... Mais laissons cela. J'ai à vous entretenir....
GABRIEL. Non, non! je veux achever mon ergotage et vous prendre par vos propres arguments... Je sais bien pourquoi vous voulez détourner la conversation....
LE PRéCEPTEUR. Je ne vous comprends pas.
GABRIEL. Oui-da! vous souvenez-vous de ce ruisseau que vous ne vouliez pas passer parce que le pont de branches entrelacées ne tenait presque plus à rien? et moi j'étais au milieu, pourtant! Vous ne voul?tes pas quitter la rive, et à votre prière je revins sur mes pas. Vous aviez donc peur?
LE PRéCEPTEUR. Je ne me rappelle pas cela.
GABRIEL. Oh! que si!
LE PRéCEPTEUR. J'avais peur pour vous, sans doute.
GABRIEL. Non, puisque j'étais déjà à moitié passé. Il y avait autant de danger pour moi à revenir qu'à continuer.
LE PRéCEPTEUR. Et vous en voulez conclure....
GABRIEL. Que, puisque moi, enfant de dix ans, n'ayant pas conscience du danger, j'étais plus téméraire que vous, homme sage et prévoyant, il en résulte que la bravoure absolue n'est pas le partage exclusif de l'homme, mais plut?t celui de l'enfant, et, qui sait? peut-être aussi celui de la femme.
LE PRéCEPTEUR. Où avez-vous pris toutes ces idées? Jamais je ne vous ai vu si raisonneur.
GABRIEL. Oh! bien, oui! je ne vous dis pas tout ce qui me passe par la tête.
LE PRéCEPTEUR, inquiet. Quoi donc, par exemple?
GABRIEL. Bah! je ne sais quoi! Je me sens aujourd'hui dans une disposition singulière. J'ai envie de me moquer de tout.
LE PRéCEPTEUR. Et qui vous a mis ainsi en gaieté?
GABRIEL. Au contraire, je suis triste! Tenez, j'ai fait un rêve bizarre qui m'a préoccupé et comme poursuivi tout le jour.
LE PRéCEPTEUR. Quel enfantillage! et ce rêve...
GABRIEL. J'ai rêvé que j'étais femme.
LE PRéCEPTEUR. En vérité, cela est étrange... Et d'où vous est venue cette imagination?
GABRIEL. D'où viennent les rêves? Ce serait à vous de me l'expliquer, mon cher professeur.
LE PRéCEPTEUR. Et ce rêve vous était sans doute désagréable?
GABRIEL. Pas le moins du monde; car, dans mon rêve, je n'étais pas un habitant de cette terre. J'avais des ailes, et je m'élevais à travers les mondes, vers je ne sais quel monde idéal. Des voix sublimes chantaient autour de moi; je ne voyais personne; mais des nuages légers et brillants, qui passaient dans l'éther, reflétaient ma figure, et j'étais une jeune fille vêtue d'une longue robe flottante et couronnée de fleurs.
LE PRéCEPTEUR. Alors vous étiez un ange, et non pas une femme.
GABRIEL. J'étais une femme; car tout à coup mes ailes se sont engourdies, l'éther s'est fermé sur ma tête, comme une vo?te de cristal impénétrable, et je suis tombé, tombé... et j'avais au cou une lourde cha?ne dont le poids m'entra?nait vers l'ab?me; et alors je me suis éveillé, accablé de tristesse, de lassitude et d'effroi... Tenez, n'en parlons plus. Qu'avez-vous à m'enseigner aujourd'hui?
LE PRéCEPTEUR. J'ai une conversation sérieuse à vous demander, une importante nouvelle à vous apprendre, et je réclamerai toute votre attention.
GABRIEL. Une nouvelle! ce sera donc la première de ma vie, car j'entends dire les mêmes choses depuis que j'existe. Est-ce une lettre de mon grand-père?
LE PRéCEPTEUR. Mieux que cela.
GABRIEL. Un présent? Peu m'importe. Je ne suis plus un enfant pour me réjouir d'une nouvelle arme ou d'un nouvel habit. Je ne con?ois pas que mon grand-père ne songe à moi que pour s'occuper de ma toilette ou de mes plaisirs.
LE PRéCEPTEUR. Vous aimez pourtant la parure, un peu trop même.
GABRIEL. C'est vrai; mais je voudrais que mon grand-père me considérat comme un jeune homme, et m'admit à l'honneur insigne de faire sa connaissance.
LE PRéCEPTEUR. Eh bien, mon cher monsieur, cet honneur ne tardera pas à vous être accordé.
GABRIEL. C'est ce qu'on me dit tous les ans.
LE PRéCEPTEUR. Et c'est ce qui arrivera demain.
GABRIEL, _avec une satisfaction sérieuse_. Ah! enfin!
LE PRéCEPTEUR. Cette nouvelle comble tous vos voeux?
GABRIEL. Oui, j'ai beaucoup de choses à dire à mon noble parent, beaucoup de questions à lui faire, et probablement de reproches à lui adresser.
LE PRéCEPTEUR, _effrayé_. Des reproches?
GABRIEL. Oui, pour la solitude où il me tient depuis que je suis au monde. Or, j'en suis las, et je veux conna?tre ce monde dont on me parle tant, ces hommes qu'on me vante, ces femmes qu'on rabaisse, ces biens qu'on estime, ces plaisirs qu'on recherche... Je veux tout
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