Gabriel | Page 4

George Sand
agit��e par la brise me fait frissonner, et o�� je ne passerais pas sans lumi��re le seuil de la chapelle pour toutes les gloires du monde. Croyez-moi nous sommes tous sous l'impression du moment, et l'homme qui se vanterait devant moi de n'avoir jamais eu peur me semblerait un grand fanfaron, de m��me qu'une femme pourrait dire devant moi qu'elle a des jours de courage sans que j'en fusse ��tonn��. Quand je n'��tais encore qu'un enfant, je m'exposais souvent au danger plus volontiers qu'aujourd'hui: c'est que je n'avais pas conscience du danger.
LE PR��CEPTEUR. Mon cher Gabriel, vous ��tes tr��s-ergoteur aujourd'hui... Mais laissons cela. J'ai �� vous entretenir....
GABRIEL. Non, non! je veux achever mon ergotage et vous prendre par vos propres arguments... Je sais bien pourquoi vous voulez d��tourner la conversation....
LE PR��CEPTEUR. Je ne vous comprends pas.
GABRIEL. Oui-da! vous souvenez-vous de ce ruisseau que vous ne vouliez pas passer parce que le pont de branches entrelac��es ne tenait presque plus �� rien? et moi j'��tais au milieu, pourtant! Vous ne voul?tes pas quitter la rive, et �� votre pri��re je revins sur mes pas. Vous aviez donc peur?
LE PR��CEPTEUR. Je ne me rappelle pas cela.
GABRIEL. Oh! que si!
LE PR��CEPTEUR. J'avais peur pour vous, sans doute.
GABRIEL. Non, puisque j'��tais d��j�� �� moiti�� pass��. Il y avait autant de danger pour moi �� revenir qu'�� continuer.
LE PR��CEPTEUR. Et vous en voulez conclure....
GABRIEL. Que, puisque moi, enfant de dix ans, n'ayant pas conscience du danger, j'��tais plus t��m��raire que vous, homme sage et pr��voyant, il en r��sulte que la bravoure absolue n'est pas le partage exclusif de l'homme, mais plut?t celui de l'enfant, et, qui sait? peut-��tre aussi celui de la femme.
LE PR��CEPTEUR. O�� avez-vous pris toutes ces id��es? Jamais je ne vous ai vu si raisonneur.
GABRIEL. Oh! bien, oui! je ne vous dis pas tout ce qui me passe par la t��te.
LE PR��CEPTEUR, inquiet. Quoi donc, par exemple?
GABRIEL. Bah! je ne sais quoi! Je me sens aujourd'hui dans une disposition singuli��re. J'ai envie de me moquer de tout.
LE PR��CEPTEUR. Et qui vous a mis ainsi en gaiet��?
GABRIEL. Au contraire, je suis triste! Tenez, j'ai fait un r��ve bizarre qui m'a pr��occup�� et comme poursuivi tout le jour.
LE PR��CEPTEUR. Quel enfantillage! et ce r��ve...
GABRIEL. J'ai r��v�� que j'��tais femme.
LE PR��CEPTEUR. En v��rit��, cela est ��trange... Et d'o�� vous est venue cette imagination?
GABRIEL. D'o�� viennent les r��ves? Ce serait �� vous de me l'expliquer, mon cher professeur.
LE PR��CEPTEUR. Et ce r��ve vous ��tait sans doute d��sagr��able?
GABRIEL. Pas le moins du monde; car, dans mon r��ve, je n'��tais pas un habitant de cette terre. J'avais des ailes, et je m'��levais �� travers les mondes, vers je ne sais quel monde id��al. Des voix sublimes chantaient autour de moi; je ne voyais personne; mais des nuages l��gers et brillants, qui passaient dans l'��ther, refl��taient ma figure, et j'��tais une jeune fille v��tue d'une longue robe flottante et couronn��e de fleurs.
LE PR��CEPTEUR. Alors vous ��tiez un ange, et non pas une femme.
GABRIEL. J'��tais une femme; car tout �� coup mes ailes se sont engourdies, l'��ther s'est ferm�� sur ma t��te, comme une vo?te de cristal imp��n��trable, et je suis tomb��, tomb��... et j'avais au cou une lourde cha?ne dont le poids m'entra?nait vers l'ab?me; et alors je me suis ��veill��, accabl�� de tristesse, de lassitude et d'effroi... Tenez, n'en parlons plus. Qu'avez-vous �� m'enseigner aujourd'hui?
LE PR��CEPTEUR. J'ai une conversation s��rieuse �� vous demander, une importante nouvelle �� vous apprendre, et je r��clamerai toute votre attention.
GABRIEL. Une nouvelle! ce sera donc la premi��re de ma vie, car j'entends dire les m��mes choses depuis que j'existe. Est-ce une lettre de mon grand-p��re?
LE PR��CEPTEUR. Mieux que cela.
GABRIEL. Un pr��sent? Peu m'importe. Je ne suis plus un enfant pour me r��jouir d'une nouvelle arme ou d'un nouvel habit. Je ne con?ois pas que mon grand-p��re ne songe �� moi que pour s'occuper de ma toilette ou de mes plaisirs.
LE PR��CEPTEUR. Vous aimez pourtant la parure, un peu trop m��me.
GABRIEL. C'est vrai; mais je voudrais que mon grand-p��re me consid��rat comme un jeune homme, et m'admit �� l'honneur insigne de faire sa connaissance.
LE PR��CEPTEUR. Eh bien, mon cher monsieur, cet honneur ne tardera pas �� vous ��tre accord��.
GABRIEL. C'est ce qu'on me dit tous les ans.
LE PR��CEPTEUR. Et c'est ce qui arrivera demain.
GABRIEL, _avec une satisfaction s��rieuse_. Ah! enfin!
LE PR��CEPTEUR. Cette nouvelle comble tous vos voeux?
GABRIEL. Oui, j'ai beaucoup de choses �� dire �� mon noble parent, beaucoup de questions �� lui faire, et probablement de reproches �� lui adresser.
LE PR��CEPTEUR, _effray��_. Des reproches?
GABRIEL. Oui, pour la solitude o�� il me tient depuis que je suis au monde. Or, j'en suis las, et je veux conna?tre ce monde dont on me parle tant, ces hommes qu'on me vante, ces femmes qu'on rabaisse, ces biens qu'on estime, ces plaisirs qu'on recherche... Je veux tout
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