Fables et légendes du Japon | Page 5

Claudius Ferrand
et rend le panier à la jeune
fille, en lui rapportant les paroles de son maître.
--C'est curieux! répond Aki, en reprenant le panier... C'est pourtant bien
ici!... Aurais-je mal entendu?... Je suis si sotte!... Je vais retourner à la
maison, et demander de nouveau à mon père. Voudriez-vous être assez
aimable pour me permettre de déposer mon panier ici? Je reviendrai
dans tous les cas le prendre.
--Il n'y a pas d'inconvénient, Mademoiselle.
Aki dépose donc son panier dans un coin de la cuisine; puis, saluant
profondément Mme Osandon, elle reprend le chemin par lequel elle est
venue.
Vous vous demandez peut-être pourquoi la rusée jeune fille a laissé là
son panier? Pourquoi? Je vous le donne en mille. Inutile de vous
creuser la tête. Vous ne devinerez pas. Mais vous allez comprendre tout
à l'heure, et vous ne pourrez vous empêcher de penser: quelle petite
coquine!
D'abord, elle ne retourne pas chez elle, tout naturellement. La voilà qui
remonte l'avenue, enfile la rue de Sakanacho et s'arrête devant la
boutique d'un horloger.
--Pardon! dit-elle en entrant. Je viens de la part de Mme Sanjo, la
femme du ministre. Est-ce que vous avez de belles montres en or?
--Mais parfaitement, Mademoiselle. En désirez-vous de grandes ou de
petites?

--Voici. Ma maîtresse voudrait en voir quelques-unes de dimensions
différentes, pour pouvoir faire son choix. Elle est très fatiguée
aujourd'hui et ne peut quitter la chambre. Il lui faut cependant une
montre pour ce soir. Ne voudriez-vous pas en confier quelques-unes à
votre apprenti, et le prier de m'accompagner chez ma maîtresse?
--Je n'ai pas l'habitude de confier des montres à mon apprenti. Mais, si
vous n'y voyez pas d'inconvénient, je puis vous accompagner
moi-même.
--Ce sera encore mieux!
[Illustration: Aki reprit le panier qu'elle avait déposé à la cuisine]
L'horloger, lui non plus, n'a aucune raison de soupçonner la jeune fille.
Il choisit douze belles montres, les introduit dans une boîte, enveloppe
la boîte d'un beau foulard de soie, met son manteau et part avec Aki.
Ils arrivent chez M. le ministre, entrent par la porte cochère, et
pénètrent dans la cour. Arrivés là, la petite rusée dit à son compagnon:
--Comme Madame est couchée, elle serait peut-être contrariée de vous
recevoir chez elle. Passez-moi les montres; je vais les lui porter. Et
attendez-moi ici, ce ne sera pas long.
L'horloger sans méfiance passe la boîte à Aki, et les montres vont
rejoindre la tasse de tout à l'heure dans les profondeurs de sa manche...
La jeune fille se rend à la cuisine, où elle retrouve Mme Osandon:
--Excusez-moi, dit-elle en entrant, je me suis effectivement trompée.
Ce n'est pas chez M. le ministre Sanjo que mon père m'envoyait, mais
bien chez un certain M. Sonjo. Pardonnez-moi le dérangement que je
vous ai occasionné tantôt.
--Il n'y a pas de quoi, Mademoiselle, répond la cuisinière; tout le monde
peut se tromper.
Aki reprend donc le panier aux poissons qu'elle avait déposé à la

cuisine, vous commencez à comprendre dans quel but. Elle salue la
bonne, et revient vers la cour, où attendait l'horloger.
--Madame est en train d'examiner les montres, dit-elle; dès qu'elle aura
fait son choix, elle doit vous faire appeler. Patientez encore quelques
secondes, et veuillez m'excuser; il faut que j'aille porter ces poissons à
une amie de Madame.
Là-dessus elle le quitte et sort de la cour.
L'horloger, qui la voit sortir, un panier de poissons au bras, alors qu'elle
est entrée les mains vides, n'a pas un instant la pensée de douter qu'elle
soit une domestique de Mme Sanjo. Il ne soupçonne pas, le brave
homme que, dans la manche de cette fille qui vient de sortir, reposent
insouciantes les douze montres en or, qu'il a apportées de chez lui!
Il attend un bon quart d'heure. Mais personne ne vient. On a l'air, dans
la maison, de ne pas même songer à lui. Impatienté, il se rend à son
tour à la cuisine.
[Illustration: L'horloger la vit sortir, un panier au bras]
--Eh bien! dit-il à la cuisinière, est-ce que Madame a terminé son
choix?
--Quel choix?
--Mais... le choix des montres.
--Quelles montres?
--Les montres que je viens d'apporter et que j'ai confiées à la jeune fille,
pour les faire voir à Madame.
--Quelle jeune fille?
--Celle qui vient de sortir avec un panier.
--Celle qui vient de sortir avec un panier?

--Oui.
--Mais, mon brave homme, cette jeune fille n'est pas plus employée à la
maison, que moi je ne suis employée au palais de l'Empereur!
Et la cuisinière raconte alors à l'horloger pétrifié les antécédents de
l'histoire, et pourquoi et comment cette jeune fille est sortie de la
maison avec un panier. L'horloger raconte à son tour l'histoire des
montres, et pourquoi et comment il se fait qu'il est là.
--Alors, mon pauvre homme, conclut la
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